Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

PREMIERS ACTES DE PROSÉLYTISME 91
par les gens de police. Le prieur de Bouteville
jugea prudent de mettre quelques lieues entre ses
amis et les dévots de la ville. Il leur offrit donc
une maison des champs nommée Girac, dont il
faisait sa résidence habituelle, et la compagnie y
tint ses graves conférences, aux trilles aériens des
petits oiseaux, qui, eux, rendaient hommage à la
gloire du Tout-Puissant à moins de frais d'éloquence
et de dialectique.
Calvin, quand il n'écrivait pas et n'argumentait
pas, donnait des leçons de grec à son ami le curé.
Encore que ce soit une ivrognerie mortelle de
l'entendement
que ce soit
humain de tirer orgueil de quoi
— car l'homme reste un pur rien,
quelque effort qu'il fasse, ou plutôt qu'il croie
faire, pour s'améliorer —, Calvin se montrait assez
vain de ses connaissances en cette langue. Il aimait
en faire parade, et ne manquait pas l'occasion
d'en glisser quelque belle phrase savante dans ses
prêches aux paysans qui l'écoutaient bouche bée.
S'ils n'entendaient rien à la sentence, par contre,
si ignorants qu'ils fussent, les bons campagnards
voyaient très bien le bout de vanité qui s'était
glissé en la personne austère de ce prêcheur, par
ailleurs fort soucieux de l'humilité d'autrui, et,
clignant
« petit
de
Grec
l'oeil, ils l'appelaient
de Claix », ou, tout
entre eux le
simplement, « le
petit Grec ».
Sa mince silhouette leur était devenue familière,
et ils ne s'étonnaient plus de voir sa longue robe
noire s'agiter à travers champs dans la direction
de Saint-Saturnin ou du château de Chaillou, où
vivait Antoine Chaillou, prieur de Bouteville. Le
lieu était champêtre. La petite église gardait de
ses cérémonies dominicales une bonne odeur pay-