Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

ESSAIS D'ORGANISATION 167
Le Picard ne prétend pas à entraîner son auditoire.
Il ne veut que le convaincre par des arguments et,
le corps tout raide sur le siège où il est assis, la
tête haute, il explique, il démontre une vérité tirée
de l'Évangile. Les femmes arrivent de leur cuisine
pour l'écouter, avec un nourrisson sur le bras ou
une quenouillée de lin entre les doigts. On le regarde.
Il est venu pour répandre la parole du Christ, et
voilà déjà qu'il s'emporte. Son corps oscille tout
d'une pièce, son long bras se détend brusquement.
Sa barbe maigre bat sa robe. Son visage jaune
grimace, coloré par le reflet de quelque vitrail à
images. On se dit qu'il a l'air du diable, et il pointe
un doigt impérieux vers une broderie tendue sur
quelque jolie gorge, un cotillon à fanfreluches
pendu dans un coin, ou un bijou qui lance ses feux
du fond d'une coupe. Il apporte avec lui comme le
froid d'une tombe et, quand il est parti, il semble
aux gens qu'ils respirent mieux. Les Genevois,
débarrassés de sa présence, entrebâillent doucement
la porte pour le regarder s'éloigner. Il est
long, noir, anguleux. La robe bien bourrée de
Farel a l'air de rouler à côté des longues enjambées
du Picard.
Quelquefois, les deux amis emmènent avec eux
un vieil homme aveugle, dont le bâton a tâté
toutes les marches des maisons genevoises. C'est
le Français Coraud, un ancien moine qui porte
maintenant sur la tête, au lieu de la capuce pointue,
le bonnet noir des pasteurs. Ses mains se tendent
en avant, ses pas hésitent. Il retarde la marche
de Farel et de Calvin qui le conduisent dans les
rues. Et le peuple l'entoure. On se plaît à l'entendre
parler, car il a le verbe populaire, et souvent sa
présence calme les colères des gens.