Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

BOURGES 53
Souvent, en descendant de chaire, il le prenait
sous le bras et devisait avec lui dans la cour du
collège. Il l'entretenait de mythologie grecque,
qui faisait ses délices, mais il sentait bien que
l'autre ne l'écoutait qu'à demi, en sorte qu'un
jour, il lui déclara :
Sais-tu bien que ton père s'est trompé sur ta vocation ?
Tu n'es pas appelé, comme Alciati, à prêcher sur le
droit, ni, comme moi, à débiter du grec. Livre-toi à la
théologie, car la théologie est la maîtresse science de
toutes les sciences 1.
Calvin ne demandait pas autre chose. Alors
on parla de Luther, éperdument. Sans doute le
maître et l'élève se retiraient-ils en quelque
chambre bien close quand ils s'entretenaient d'un
tel sujet.
On imagine les deux hommes, le visage baigné
par la lueur jaune d'une lampe, assis devant quelque
haut pupitre où est ouvert un livre. L'un a
les mains levées. Il explique et s'enthousiasme,
heureux de pouvoir dire enfin ce que, pendant
tout le jour, il a tenu secret, enfermé, comprimé
au plus profond de lui-même. L'autre, le disciple
haletant, a le cou tendu et l'oeil avide. Voici qu'on
lui apporte enfin ce qu'il attend, ce qu'il appelle
depuis des mois. Est-ce donc une promesse de
bonheur ? — Non. Il apprend que la créature
n'est pas justifiée par ses oeuvres, et qu'il n'est
pas libre. Mais ce dogme de la fatalité, si affreux
qu'il soit, fortifie l'idée qu'il s'est formée de Dieu,
et cela seul importe, car il est homme à pouvoir
contempler l'infini sans que le vertige le prenne
1. Florimond de Rémond, p. 882.