Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

288 CALVIN
charge, le seigneur lieutenant et le sautier conduisent
le lugubre cortège.
Une estrade se dresse devant l'hôtel de ville. Le
syndic Darlod s'y tient debout, et les soldats
arrêtent le condamné devant lui. Resserré entre
les maisons de l'étroite rue garnie de têtes, le
convoi s'immobilise, et le peuple qui l'escortait
regarde le syndic dressé sur ses planches. Celui-ci
élève le papier qu'il tient à la main, et sa voix
retentit dans la rue, au-dessus de la foule silencieuse.
La tête basse, la chair molle, l'oeil vide,
le condamné entend son arrêt de mort :
Désirant de purger l'Église de Dieu de tel infestement
et retrancher d'ycelle tel membre pourri, ayant
invoqué le nom de Dieu pour faire droit jugement,
disant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par
ycelle notre définitive sentence, toi, Michel Servet,
condamnons à devoir être lié et mené au lieu de Champel
et là devoir être, à un pilotis attaché et brûlé tout vif
avec ton livre tant écrit qu'imprimé, jusqu'à ce que
ton corps soit réduit en cendres ; et ainsi finiras tes
jours, pour donner exemple aux autres qui tel cas voudraient
commettre.
Aux derniers mots, le malheureux Servet sort
brusquement de sa prostration. Il est plein d'épouvante
et lève vers le syndic une tête révulsée où
roule un regard fou. Son corps se tend, ses bras
essaient de se dégager de leurs chaînes et d'en
rompre les maillons. Il voudrait joindre les mains,
se traîner aux genoux des juges, implorer leur
clémence. Il s'écrie que, s'il s'est trompé, il n'y a
point mis de malice. Il a pensé écrire selon l'Écriture,
et il demande que sa peine et son genre de
mort soient adoucis.