Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

A NOYON 23
refusaient de continuer la distribution des dons
en espèces et en nature qui avait lieu presque
chaque jour. Le promoteur, quand il s'en revenait
du Chapitre, ne rapportait plus de ces belles
volailles grasses que dame Jeanne Le Franc devait
s'empresser de mettre au pot, ni de ces petits
cochons de lait qui ont si bonne mine quand, proprement
embrochés, ils tournent devant un grand
feu pétillant qui leur rôtit le poil. Aussi s'en
montrait-il fort contrit. Cependant, il n'entendait
point faire de ses fils des ignorants pour complaire
aux
bel
prébendés,
argent ni
et préférait ne
de gros chapons
plus
plutôt
recevoir
que
de
de se
plier à leur volonté. Il se tenait ferme dans sa
résistance. Sa mauvaise tète picarde et son instinct
processif y trouvaient leur compte. Mais cela
l'aigrissait contre l'Église, et il commençait de
prêter une oreille plus favorable aux propos de
ses amis protestants.
Puis sa femme mourut. Peut-être fût-ce la peste
qui l'emporta.
On drapa en la maison de Gérard Cauvin, où
la mort, pour la seconde fois, venait d'entrer. La
belle dévote ne devait plus jamais aller s'agenouiller
devant les reliques, ni marcher à pas lents,
conduite par les bannières fleurdelisées des processions.
La main tiède qui menait le petit Jean
dans l'ombre des sanctuaires catholiques était
devenue froide et inerte. Elle n'eût même pas
tressailli, même pas tenté un geste si le jeune
garçon, se trompant de chemin, au lieu de se diriger
vers le lieu de salut et de rédemption dont
Jeanne le Franc lui avait appris la route, se fût
égaré du côté de quelque précipice effroyable qui
devait l'engloutir tout entier, âme et corps.