Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

DERNIÈRES ANNÉES 329
à la surveillance de Maître Calvin. Les murs de
sa maison eux-mêmes ne l'en garantissent point.
D'ailleurs, le Genevois n'a plus de maison si
par ce mot l'on entend un lieu privé où l'individu
a le droit de vivre à sa guise, et de se tenir caché
aux regards d'autrui.
Il faut que son foyer soit comme une place
publique et qu'il en laisse les portes ouvertes,
afin que les anciens, sorte de censeurs à la mode
de Rome, mais beaucoup plus nombreux, puissent
y pénétrer à toute heure du jour et de la nuit
pour se rendre compte de l'existence qu'on y mène.
Ils ont le droit de tout inspecter, depuis la
garde-robe de la dame jusqu'au livre de comptes
du ménage, et sévissent impitoyablement, à la
moindre preuve d'une coquetterie, d'un luxe ou
d'une gourmandise qu'il importe d'étouffer au plus
tôt.
Les anciens ont, au-dessous d'eux, une armée
de bas délateurs, qui leur rapportent tous les
méfaits commis contre la religion et la morale,
tous les propos tenus contre Maître Calvin.
La régénération de Genève, tel est le grand mot
que les émissaires de l'autocrate ont sans cesse
à la bouche, le prétexte à toutes les vexations et
les délations.
Les infractions morales sont punies aussi rigoureusement
que les crimes sociaux, et le despotisme,
dans aucun pays d'Europe, ne s'est jamais montré
aussi savamment organisé.
S'il sait comment se comportent les étudiants
anglais, s'il n'ignore rien de ce qui se passe dans
les petites églises réformées de France, Calvin
n'est pas moins bien informé des plus minces
événements genevois.