Calvin / Jean Moura et Paul Louvet. 1931. - Bible et Rencontres

L'ÉCHEC 175
pas le rite bernois ! » Au milieu d'eux passe le
sautier avec sa longue barbe et son bâton à manche
d'argent. Le Conseil l'a dépêché aux pasteurs
pour leur demander, une fois encore, s'ils veulent
prêcher « selon la missive de Berne ».
Non, ils ne veulent pas prêcher selon la missive
de Berne ! La ville a beau gronder autour d'eux,
ils se tiendront ferme dans leur résistance. Qu'on
profère contre eux des menaces de mort, qu'on
entoure leur maison, qu'on brise leurs carreaux,
ils ne se rendront pas !
Qu'importe, d'ailleurs, à Farel ce grand bruit
révolutionnaire, cette rumeur de foule surexcitée
qui monte et s'enfle d'heure en heure ? La révolution
n'est-elle pas justement ce qui lui convient.
Roulé en elle, il y peut hurler son éloquence et
déployer ses grands gestes, qui ont abattu les
statues catholiques et partout renversé les autels.
Méditer des combinaisons politiques et gouverner
habilement, n'est point son affaire. Il lui faut le
tumulte, le désordre, pour être grand.
Calvin, au contraire, a la plus grande horreur
de ces cris qui les entourent. La pensée du Rhône,
où l'on pourrait bien le traîner, du Rhône rapide
et bleu qui glisse au bas des remparts de la ville,
le remplit d'une terreur sans nom. Chaque coup
de mousquet frappe dans sa migraine. Martyre
incessant de sa chair misérable, attachée à une
âme intrépide. Le corps gémit : « Fais ce que l'on
veut ! Donne-moi la paix ! » — Et l'esprit réplique :
« Point de compromission ! Sue ta peur, misérable
guenille ! Que m'importe que tu souffres ! »
Et Calvin, vert de peur, s'obstine dans son refus,
qui l'expose à la colère du peuple.
Bientôt les cris redoublent. Le vieil aveugle,