Mise en page 1 - Théâtre Massalia
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L’écriture au théâtre jeune public - Emerg<strong>en</strong>ce d’un nouveau langage ou nouveau rapport au public ? (1ère partie)<br />
J’ai moi-même vu une chose<br />
que je n’avais pas imaginée<br />
de mon propre texte.<br />
nombreuses fois. De nombreuses fois très poétiquem<strong>en</strong>t. Des belles choses, mais il y<br />
avait toujours une dim<strong>en</strong>sion qui me manquait. Par exemple, un <strong>en</strong>seignant a lu « Le<br />
Pays de Ri<strong>en</strong> », et a dit : « Oh, mais il n’y a ri<strong>en</strong> là-dedans ». Si on le lit vite, ça peut faire<br />
cet effet là. Si on le lit moins vite, ah, on voit qu’il y a trois personnages, qu’il y aune t<strong>en</strong>sion<br />
qui s’installe, et si on le lit <strong>en</strong>core moins vite, on va dans le fond, moi, j’appelle ça<br />
l’écriture verticale, on va dans le fond de la mine, on voit qu’il y a des <strong>en</strong>fants errants,<br />
qu’il y a une pression, un monde qui est autour de ça et on peut lire de moins <strong>en</strong> moins<br />
vite comme ça… Enfin, ce n’est pas une question de vitesse, c’est la question de r<strong>en</strong>trer<br />
dans la chair du texte. J’ai dit aux comédi<strong>en</strong>s qui étai<strong>en</strong>t là qu’on allait essayer de travailler<br />
ce texte comme moi je l’ai écrit. Je vais oublier que je l’ai écrit, mais on va essayer de<br />
retrouver, vous allez essayer de le manger, et de laisser le texte faire son travail <strong>en</strong> vous<br />
même, physiquem<strong>en</strong>t. Au début, il y avait comme une carapace théâtrale, j’ai été obligée<br />
de leur dire : « Excusez moi, les g<strong>en</strong>s de théâtre, mais <strong>en</strong>levez tout ce qui est théâtral,<br />
parce que là, le texte, je ne l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds pas ». J’ai joué le jeu de ré<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ce texte vraim<strong>en</strong>t.<br />
C’était assez beau de les voir travailler. Le texte a pris de la place. Ça n’était pas<br />
une histoire personnelle, je voulais trouver quelque chose d’extrêmem<strong>en</strong>t vivant, et je<br />
voulais voir comm<strong>en</strong>t ce que ce texte que j’avais écrit il y a très longtemps, que j’avais un<br />
peu oublié, resurgissait, comm<strong>en</strong>t il se réincarnait vraim<strong>en</strong>t, sans masque, sans théâtre,<br />
sans formalisme. J’ai vu des choses incroyables.<br />
J’ai vu que le « Pays de Ri<strong>en</strong> » pouvait<br />
être une tragédie. J’ai moi-même vu une<br />
chose que je n’avais pas imaginée de mon<br />
propre texte. Par les mots eux-mêmes, qui<br />
port<strong>en</strong>t plus que ce qu’on veut bi<strong>en</strong>, que<br />
même l’écrivain ne sait pas ce que son texte<br />
conti<strong>en</strong>t. Parce que pour moi, l’écriture est plus forte que la personne. L’écriture est là<br />
depuis 2000 ans, 5000 ans ! Qui dit mieux ? Ça c’était une expéri<strong>en</strong>ce de l’incarnation, je<br />
ne sais pas si je réponds à la question, mais il y avait dans mon propre texte des choses<br />
cachées de moi-même.<br />
J’ai une telle conc<strong>en</strong>tration, une telle exig<strong>en</strong>ce, j’ai un peu un s<strong>en</strong>s sacré du texte, on me<br />
le reproche, mais c’est mon style, c’est mon rapport à l’écriture. Quand on écrit pour la<br />
jeunesse, on n’est pas dupe de tout ce qu’à apporté la psychanalyse, donc on ne peut pas<br />
être naïfs. Il y a effectivem<strong>en</strong>t tout ce s<strong>en</strong>s caché que peut cont<strong>en</strong>ir un texte. Comme c’est<br />
caché, on ne peut pas trop révéler, Philippe !<br />
Patrick B<strong>en</strong> Soussan<br />
Ce qui est intéressant, c’est que s’il est caché, c’est qu’il est caché à l’auteur lui même.<br />
Ça me semble toujours époustouflant qu’on demande aux auteurs pourquoi ils écriv<strong>en</strong>t<br />
pour la jeunesse ou ce qu’ils ont souhaité dire… Ce sont les moins à même de pouvoir<br />
témoigner de cette question là. Parce que sinon, ils ne l’aurai<strong>en</strong>t pas écrit. Et que dans<br />
la matière même de leur écriture, tout ça est parlé. Par contre, ils ne peuv<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong> faire<br />
un travail de reconstruction, d’introspection, c’est pas le truc ! Ils aurai<strong>en</strong>t trouvé d’autres<br />
moy<strong>en</strong>s pour le faire. C’est le modèle classique des peintres qui, quand on leur<br />
demande ce qu’ils ont voulu dire, ils dis<strong>en</strong>t : « Mais je n’ai ri<strong>en</strong> voulu dire ». C’est pas<br />
une question de propos, c’est là. C’est la matérialité des choses. Donc cette question là<br />
de la cachotterie c’est au cœur même de l’écriture. Sinon, il n’y aurait pas d’écriture.<br />
Pourquoi est-ce qu’on écrit sinon ? Ça n’a pas de s<strong>en</strong>s. C’est au plus près de ça. L’autre<br />
aspect, c’est un psychanalyste, Jean Laplanche, qui a parlé des « signifiants énigmatiques<br />
». Il témoigne de cette idée là, pour le dire vite, dans le quotidi<strong>en</strong>, pas dans l’écriture,<br />
mais dans la vie de tous les jours, un certain nombre de choses à la fois font du<br />
s<strong>en</strong>s et à la fois font énigme. Les <strong>en</strong>fants sont particulièrem<strong>en</strong>t att<strong>en</strong>tifs et friands de<br />
cette chose particulière. La première découverte qu’il évoque, c’est le sein. La r<strong>en</strong>contre<br />
<strong>en</strong>tre le tout petit et le sein. A la fois, il compr<strong>en</strong>d ce que c’est, mais c’est aussi quelque<br />
chose plein d’énigmes. Pourquoi ? Parce que c’est totalem<strong>en</strong>t sexualisé par la mère<br />
à son insu. Quand Maman donne le sein à son bébé, elle ne lui donne pas du lait, elle<br />
lui donne bi<strong>en</strong> autre chose que ça. Dans le texte, on pourrait dire de façon très assurée,<br />
quand tu décrivais l’histoire tout à l’heure, on était dans Sophocle, dans Œdipe…<br />
Chacun a ses propres représ<strong>en</strong>tations des discours, mais le père tyran qui veut transmettre<br />
le pays de ri<strong>en</strong> à sa fille, et le petit gars qui est devant la porte et qui meurt parce qu’il<br />
ne peut pas r<strong>en</strong>trer…Moi j’y vais là ! Je ne sais pas si c’est parce que c’est l’heure du<br />
repas, mais moi, ça fantasmait bi<strong>en</strong> ! Après, chacun y met ses trucs, mais on est vrai-<br />
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