22.04.2015 Views

Mise en page 1 - Théâtre Massalia

Mise en page 1 - Théâtre Massalia

Mise en page 1 - Théâtre Massalia

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

L’œuvre de Anne Teresa de Keersmaker par Philippe Guisgand<br />

disait Laur<strong>en</strong>ce Loope, « un artiste qui hante ses propres frontières ». Qu’est-ce qui vi<strong>en</strong>t<br />

du passé chorégraphique, qu’est-ce qui n’est qu’une ébauche et qu’on retrouvera dans<br />

un an, dans deux ans, dans dix ans ? Ce déroulem<strong>en</strong>t linéaire de l’œuvre est aussi perturbé<br />

par ce côté Petit Poucet qui essaime des indices <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce, et qui induit sans<br />

cesse des retours au passé. Et à ce sujet Keersmaeker confesse souv<strong>en</strong>t, je la cite : « Il<br />

n’est pas possible de tout inclure dans un seul spectacle. Certaines choses sont si d<strong>en</strong>ses<br />

et si riches qu’on ne peut pas tout formuler <strong>en</strong> l’espace d’une représ<strong>en</strong>tation ». Les<br />

indices de filiation ne sont pas seulem<strong>en</strong>t, et d’ailleurs, elle s’<strong>en</strong> déf<strong>en</strong>d, de simples clins<br />

d’œil au spectateur qui serait fidèle depuis 25 ans, il n’y <strong>en</strong> a finalem<strong>en</strong>t pas tant que ça.<br />

Cela révèle le statut d’étude de certaines pièces. On <strong>en</strong> a parlé, je ne revi<strong>en</strong>s pas là-dessus.<br />

Mais ce statut d’étude fait aussi signe : signe d’une ténacité dans l’exploration des<br />

matériaux, et des emprunts perman<strong>en</strong>ts qui donn<strong>en</strong>t aussi, quand on regarde l’œuvre<br />

d’un peu plus loin, une cohér<strong>en</strong>ce assez forte.<br />

Mais cette image du puzzle n’est pas forcém<strong>en</strong>t satisfaisante. Au départ, je p<strong>en</strong>sais vous<br />

égarer juste, avec cette image. Pas satisfaisante, pourquoi, parce que peut-être trop éloignée<br />

de l’univers esthétique de cette chorégraphe. Le rythme d’apparition et de disparition<br />

de ces indices suggère plutôt l’idée qu’il y a aurait des fils, qui serai<strong>en</strong>t à certains<br />

mom<strong>en</strong>ts sous-terrains, qui ré-émergerai<strong>en</strong>t, qui redisparaîtrai<strong>en</strong>t, qui ferai<strong>en</strong>t apparaître<br />

plus distinctem<strong>en</strong>t certaines choses, et puis d’autres serai<strong>en</strong>t plus cachées. C’est<br />

aussi plus près de l’imaginaire d’Anne Teresa de Keersmaeker, qui dit souv<strong>en</strong>t : « Moi,<br />

j’aime les formes <strong>en</strong> spirales parce que je les retrouve partout. Je les retrouve dans les<br />

coquilles d’escargots, je les retrouve dans les structures de l’ADN, je les retrouve dans la<br />

disposition des cheveux ». La spirale est, il faut le dire, est une de ses obsessions majeures.<br />

Pas seulem<strong>en</strong>t graphique, <strong>en</strong> dessinant ces fameuses trajectoires sur le sol, la spirale,<br />

c’est aussi une manière, dans le décou<strong>page</strong> avec la suite de Fibonacci, de découper<br />

aussi la partition musicale, <strong>en</strong> utilisant, notamm<strong>en</strong>t la progression du nombre d’or. Cette<br />

métaphore de l’ADN est attrayante sur le plan poétique, elle semble plus juste, mais elle<br />

n’est pas satisfaisante.<br />

On pourrait dire, si ce n’est pas un puzzle, c’est une tresse, mais la tresse n’a pas d’âme,<br />

comme un cordage. S’est imposée à moi quand il a fallu trouver une image qui marque<br />

ce style ou mon interprétation de ce<br />

L’image de la guirlande.<br />

style, l’image de la guirlande. L’idée<br />

que, autour de ces bras plus ou<br />

moins visibles, qui color<strong>en</strong>t à certains mom<strong>en</strong>ts tout un tas de paramètres du spectacle,<br />

il y avait quand même à l’intérieur, qui lui donne une solidité, une espèce de fil t<strong>en</strong>du,<br />

une forte cohér<strong>en</strong>ce.<br />

Alors, évidemm<strong>en</strong>t, on vi<strong>en</strong>t de voir tout ce qui pourrait composer les brins de cette guirlande,<br />

mais l’âme, c’est quoi ? Ce mom<strong>en</strong>t de cohér<strong>en</strong>ce, ce serait quoi ? Je p<strong>en</strong>se que,<br />

pour avoir maint<strong>en</strong>ant<br />

Un état de danse perman<strong>en</strong>t.<br />

discuté un peu avec<br />

Anna Teresa de<br />

Keersmaeker, je dis un peu et pas beaucoup parce qu’il est vrai qu’elle est très difficile<br />

d’accès, c’est un état de danse perman<strong>en</strong>t. C’est à dire, une façon d’être <strong>en</strong> danse quasim<strong>en</strong>t<br />

tout le temps, même si les spectacles ne constitu<strong>en</strong>t qu’une partie émergée de<br />

l’iceberg. C’était déjà une intuition, qui est confirmée par ce qu’elle dit elle : « Pour moi,<br />

le spectacle, c’est le travail et vice versa. Ce qui se passe durant les répétitions se voit sur<br />

scène ». C’est ce qui explique qu’il n’y ait pas cette mise <strong>en</strong> retrait du danseur et quand<br />

on a quelque chose à dire quand on s’est fait marcher sur les pieds, on le dit à l’instant<br />

même. Moi ça m’est arrivé, dans « Small Hands », d’être au premier rang, donc les danseurs<br />

pass<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t à 5 c<strong>en</strong>timètres de nos nez, sur un saut, de me pr<strong>en</strong>dre une<br />

claque, et bi<strong>en</strong> ça ne la dérange pas, vous partiriez avec votre joue rouge, elle, elle<br />

revi<strong>en</strong>t, elle s’excuse et ça repart. Il y a une espèce de naturel qui ressort. Je p<strong>en</strong>se qu’il<br />

y a bi<strong>en</strong> comme ça un état chez elle, qui ressort, qui se ti<strong>en</strong>t là comme ça, continûm<strong>en</strong>t<br />

depuis longtemps, et qui est un ferm<strong>en</strong>t à la fois ontogénétique et phylogénétique, dans<br />

le déroulem<strong>en</strong>t temporal de son travail, son développem<strong>en</strong>t perpétuel, qui fait que son<br />

spectacle naît toujours du précéd<strong>en</strong>t et de cette <strong>en</strong>vie de danse qui n’est jamais dém<strong>en</strong>tie.<br />

Parce que finalem<strong>en</strong>t le côté « danse conceptuelle », ou danse qui devi<strong>en</strong>drait une<br />

forme de posture, ne s’est jamais imposé chez elle. C’est à dire qu’indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t de<br />

ces courants qui ont animé ces quinze dernières années, le mouvem<strong>en</strong>t a toujours été<br />

considéré comme un problème artistique majeur chez elle.<br />

93

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!