Mise en page 1 - Théâtre Massalia
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Ecriture et notation musicales : L’écriture et l’espace par Nicolas Frize<br />
Maîtriser des projets<br />
esthétiques qui ne sont<br />
pas de l’ordre du plaisir<br />
ou du beau mais du juste,<br />
c’est à dire du s<strong>en</strong>s.<br />
des immobilités, de maîtriser des projets esthétiques qui<br />
ne sont pas de l’ordre du plaisir ou du beau mais du juste,<br />
c’est à dire du s<strong>en</strong>s, ce qui doit être fait pour ce projet, pour<br />
cette int<strong>en</strong>tion, pour ce développem<strong>en</strong>t, pour cette<br />
situation, pour cette d<strong>en</strong>sité, pour ce travail formel ou pas<br />
que formel.<br />
Je crois beaucoup dans le mérite de l’écriture. Je p<strong>en</strong>se<br />
qu’écrire, c’est se mettre au service. Avec un grand recul de<br />
ça. L’écriture n’<strong>en</strong> est pas moins incarnée, elle est très<br />
charnelle. On peut écrire des choses qui sont très sexuées.<br />
C’est important de se désincarner au mom<strong>en</strong>t où on les écrit. J’<strong>en</strong> parle mal. On n’est pas<br />
désincarné. Disons que le cerveau est au service du corps. Le corps n’est pas au service<br />
du corps. Quand je dis ça à des chorégraphes, ils me regard<strong>en</strong>t avec des yeux éberlués<br />
<strong>en</strong> me disant : chacun pour soi. Oui, je suis d’accord, mais je leur dis : est-ce que ça ne<br />
vous t<strong>en</strong>te pas ? Là ils me répond<strong>en</strong>t qu’ils n’ont pas de vocabulaire graphique. Il y a des<br />
tas de choses qui ont été faites, mais qui ne sont pas faciles. Mémoriser la danse, c’est<br />
compliqué. C’est 4 dim<strong>en</strong>sions, trois dim<strong>en</strong>sions dans l’espace, plus le temps. C’est<br />
sacrém<strong>en</strong>t compliqué. Mais quand même, il y a quelque chose que j’aimerais bi<strong>en</strong> que<br />
les chorégraphes travaill<strong>en</strong>t plus, c’est cette abs<strong>en</strong>ce du corps au mom<strong>en</strong>t de l’écriture.<br />
Comme moi j’ai l’abs<strong>en</strong>ce de sons au mom<strong>en</strong>t de la musique. On n’inv<strong>en</strong>te pas les<br />
mêmes choses.<br />
On ne peut pas prét<strong>en</strong>dre qu’on peut seulem<strong>en</strong>t écrire des choses qu’on a jamais<br />
p<strong>en</strong>sées. Tout le travail de Cage consistait à se mettre dans des situations… Moi j’ai été<br />
élevé, j’ai été fortem<strong>en</strong>t influ<strong>en</strong>cé par Pierre Schaeffer dont j’ai été l’élève p<strong>en</strong>dant 2 ans<br />
et qui me disait : « La vie est un <strong>en</strong>tonnoir. Toute ta vie, tu vas t<strong>en</strong>dre vers un point, que<br />
tu vas sophistiquer de plus <strong>en</strong> plus, tu vas affiner ta technique ». Evidemm<strong>en</strong>t, comme<br />
tous les <strong>en</strong>tonnoirs, comme les rails de chemin de fer, plus tu avances, plus ça recule.<br />
Finalem<strong>en</strong>t, tu vas faire toujours la même œuvre. A la fin de ta vie, tu n’<strong>en</strong> auras fait<br />
qu’une. C’est un point vers lequel tu vas t<strong>en</strong>dre, et que tu n’atteindras jamais. Je traverse<br />
l’Atlantique, j’ai eu une bourse pour être l’assistant de John Cage p<strong>en</strong>dant 9 mois, et il<br />
m’explique : « La vie est un <strong>en</strong>tonnoir. Il faut que l’on se mette dans des situations où ce<br />
qu’on écrit est imprévisible. Parce que l’homme ne peut p<strong>en</strong>ser que ce qu’il sait déjà.<br />
Parce qu’on ne connaît que ce qu’on reconnaît ». Il m’explique le système inverse du<br />
système latin, qui est une façon anglo-saxonne de p<strong>en</strong>ser, il me dit : « Qu’est-ce que ce<br />
serait pauvre de n’écrire que la musique que l’on est capable d’écrire ». Il dit : « Je voudrais<br />
me mettre <strong>en</strong> situation de composer une musique… », il prét<strong>en</strong>d la composer, et<br />
beaucoup de détracteurs de Cage ont prét<strong>en</strong>du qu’il faisait n’importe quoi, que ce n’était<br />
pas musical. En fait, il ne fait pas du tout n’importe quoi. Il met <strong>en</strong> place des dispositifs,<br />
et ces dispositifs font qu’il ne fait pas n’importe quoi. Ces dispositifs font que les choses<br />
qui vont arriver sont imprévisibles. Mais tout n’est pas imprévisible.<br />
Je p<strong>en</strong>se <strong>en</strong> particulier à une musique qu’il a faite pour Cunningham, où il avait un gros<br />
dictionnaire, il avait une pièce pour clavecin, un extrait de Bach. Il avait décidé que la<br />
musique devait être discontinue. C’était sa grande théorie par rapport à la danse. Les<br />
choses doiv<strong>en</strong>t être discontinues. Il ne doit pas y avoir de la musique tout le temps. La<br />
musique est une apparition, une <strong>en</strong>trée. Elle doit être écoutée pour elle-même, y compris<br />
avec la danse. Quand elle est écoutée pour elle-même, c’est comme cela qu’elle vit<br />
le mieux avec la danse, c’est comme ça qu’elle parle à la danse, c’est comme ça que la<br />
danse peut lui parler, c’est comme ça qu’elles form<strong>en</strong>t à elles-deux un troisième élém<strong>en</strong>t<br />
qui n’est pas la danse, mais qui est un élém<strong>en</strong>t dans lequel il y a deux élém<strong>en</strong>ts. Une<br />
chose très dialectique. Du coup, il ouvre le dictionnaire trois fois, et il obti<strong>en</strong>t trois chiffres.<br />
Le premier chiffre, c’est le nombre de mesures qu’il va jouer. Le deuxième, c’est p<strong>en</strong>dant<br />
combi<strong>en</strong> de temps il va le jouer. Le troisième, c’est l’int<strong>en</strong>sité, ou le tempo. Il est<br />
sur le côté, il est discret, on ne s’intéresse pas à lui. Il referme le livre. Tout d’un coup, on<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d le clavecin qui comm<strong>en</strong>ce et s’arrête tout de suite. Pas de pot, il est tombé sur<br />
0,5, une demie mesure !<br />
La danse de Cunningham s’est chargée de cet espèce de petit motif, qui ressemble quand<br />
même au motif qui était là une minute avant, qui était le même, mais là il est parcellaire.<br />
Tout d’un coup, ça crée une sorte de mémoire. Il y a quelque chose qui repr<strong>en</strong>d mais qui<br />
s’est arrêté. C’est comme un main t<strong>en</strong>due. Tr<strong>en</strong>te secondes plus tard, il y aura 4 mesures.<br />
C’est une espèce de phénomène non aléatoire, tout est très composé, par un principe de<br />
composition qui lui est partiellem<strong>en</strong>t extérieur, et qui lui permet d’inv<strong>en</strong>ter une chose<br />
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