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Mise en page 1 - Théâtre Massalia

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L’œuvre de Anne Teresa de Keersmaker par Philippe Guisgand<br />

explique que parfois, ce qu’on appelle chez elle les "flower patterns", ce que vous voyez,<br />

les espèces de traits, comme ça, qui stri<strong>en</strong>t le praticable, le tapis de danse, ne sont pas<br />

seulem<strong>en</strong>t une manière de faire de jolis tapis, ce sont aussi des repères très importants<br />

de placem<strong>en</strong>t pour les danseurs. Ils sont dans une telle complexité de l’occupation de<br />

l’espace, que sans ces repères, ils peuv<strong>en</strong>t être perdus. Je vous montrerais peut-être tout<br />

à l’heure, des choses. Ce qu’on voit là, ce n’est pas une ombre portée, c’est des gros<br />

points noirs, on voit des lignes continues, des lignes pointillées, qui occup<strong>en</strong>t tout<br />

l’espace. On voit ça aussi dans « Rain ». Alors dans ce spectacle, c’est comme un<br />

gymnase <strong>en</strong> désordre, comme si on avait secoué tout un gymnase et que toute les lignes<br />

qui marqu<strong>en</strong>t les différ<strong>en</strong>ts terrains se retrouvai<strong>en</strong>t mélangés dans tous les s<strong>en</strong>s.<br />

Je voulais vous dire <strong>en</strong>core quelque chose la-dessus. Par rapport à la notion de polyphonies,<br />

elle a quand même une préfér<strong>en</strong>ce pour un processus musical particulier, qui est le<br />

palindrome, la lecture inversée, que l’on voit dans « Rain », qui date de 2000. La lecture<br />

inversée, c’est (il montre des mouvem<strong>en</strong>ts). Je pr<strong>en</strong>ds un mouvem<strong>en</strong>t, une première<br />

séqu<strong>en</strong>ce qui peut être simplem<strong>en</strong>t (il montre) et je l’inverse. Si je fais palindrome plus<br />

accumulation, je vais avoir une première cellule rétrograde, donc inversion, première<br />

cellule, deuxième cellule, rétrograde, et inversion, première cellule, deuxième cellule,<br />

troisième cellule, deuxième, première et j’ai l’inversion, etc. Donc on retrouve un<br />

mouvem<strong>en</strong>t qui s’<strong>en</strong>richit finalem<strong>en</strong>t, non pas de choses qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t s’accumuler et qui<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d’ailleurs, mais qui simplem<strong>en</strong>t sont nourries de la réflexion, de la manière<br />

dont on peut voir le mouvem<strong>en</strong>t, de son point de vue, de son s<strong>en</strong>s, de son inversion, qui<br />

sont des processus d’écriture relativem<strong>en</strong>t classiques et anci<strong>en</strong>s <strong>en</strong> musique.<br />

Enfin troisième temps de la périodisation, dont peut-être la pièce « Rain » constitue le<br />

mom<strong>en</strong>t magique, c’est celui où les ressorts formels de la construction de la partition ne<br />

sont plus regardés que d’assez loin. La danse s’impose finalem<strong>en</strong>t comme une sorte de<br />

contrepoint de ce qu’est la musique. On assiste plutôt à une prise de distance où un<br />

dialogue peut s’instaurer.<br />

Le quatrième élém<strong>en</strong>t qui se met <strong>en</strong> place à cette époque là du point de vue de la<br />

composition, c’est le passage assez progressif de l’unisson, qui faisait la force de « Fase »<br />

et de « Rosas danst rosas », au contrepoint, qui va aller <strong>en</strong> se complexifiant au fur et à<br />

mesure des créations. Cette notion d’unisson disparaît progressivem<strong>en</strong>t à partir de<br />

« Stella » qui est la cinquième pièce, alors qu’elle avait initialem<strong>en</strong>t fascinée<br />

Keersmaeker, de « Fase », où on voit les deux danseuses véritablem<strong>en</strong>t dans le même<br />

mouvem<strong>en</strong>t, à « Mikrokosmos » dans le Quatuor n°4. La chorégraphe comm<strong>en</strong>ce à s’<strong>en</strong><br />

éloigner à partir de « ERTS ». On a vu tout à l’heure dans la Grande Fugue, qu’on était<br />

déjà dans l’incarnation de la musique de Beethov<strong>en</strong>, avec forcém<strong>en</strong>t, une occupation de<br />

l’espace qui r<strong>en</strong>voie à la manière sont est structurée <strong>en</strong> contrepoint, cette fugue. Alors<br />

Keersmaeker ne va pas lâcher ces trois grands registres initiaux dont on a parlé, et qui se<br />

sont imposés dès la première pièce, qui sont la répétition, l’accumulation, et la variation.<br />

Au fil des pièces, ces principes vont se multiplier, se complexifier, <strong>en</strong> s’inspirant des<br />

structures musicales, qui sont l’unisson, le contrepoint, l’alternance, le développem<strong>en</strong>t<br />

d’un motif, etc. Mais la déclinaison à partir d’une séqu<strong>en</strong>ce restreinte va demeurer l’un<br />

des fondem<strong>en</strong>ts de la composition et de la construction du vocabulaire, qui fait que la<br />

grande majorité des œuvres chorégraphiées d’Anne Teresa de Keersmaeker, cré<strong>en</strong>t un<br />

monde qui est à la fois toujours le même et toujours un autre.<br />

La fréqu<strong>en</strong>tation de son œuvre dans la durée impose presque un zoom du regard. Vous<br />

pouvez pr<strong>en</strong>dre la pièce pour ce qu’elle est, indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t de toutes les autres,<br />

évidemm<strong>en</strong>t, elle porte son univers <strong>en</strong> soi. En même temps, si vous la regardez d’un peu<br />

plus loin, et que vous la resituez dans le travail, elle porte aussi une généalogie très<br />

importante située dans les pièces précéd<strong>en</strong>tes, parfois de très anci<strong>en</strong>nes, des dizaines<br />

d’années <strong>en</strong> arrière. Avec des petites choses qui revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dans son travail, c’est<br />

toujours de l’ordre de la réminisc<strong>en</strong>ce.<br />

Cet « autre » se situe aussi dans ce qu’on a évoqué tout à l’heure, comme une espèce de<br />

marge, d’espace de liberté laissé aux interprètes. C’est le cas notamm<strong>en</strong>t dans « Rain ».<br />

Il importe finalem<strong>en</strong>t pour Keersmaeker assez peu que dans une diagonale de jetés, la<br />

photo est particulièrem<strong>en</strong>t révélatrice de ça, les bras d’un danseur ou d’une danseuse<br />

soi<strong>en</strong>t un peu plus haut ou un peu plus bas que ce qu’on appelle l’unisson de manière<br />

académique. Ce qui est important, c’est que la même dynamique guide tout le monde,<br />

et guide cette vague qui se propulse d’un côté et de l’autre de la scène.<br />

La composition chorégraphique de Keersmaeker est donc classique. Elle est classique <strong>en</strong><br />

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