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Mise en page 1 - Théâtre Massalia

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L’œuvre de Anne Teresa de Keersmaker par Philippe Guisgand<br />

corporelles répétées indéfinim<strong>en</strong>t, déclinées, interprétées avec des int<strong>en</strong>sités de<br />

nuances assez variées. Il a été reçu <strong>en</strong> Belgique véritablem<strong>en</strong>t comme une provocation,<br />

<strong>en</strong>traînant des réactions très <strong>en</strong>thousiastes, mais aussi vraim<strong>en</strong>t des réactions de haine.<br />

La pièce annonce peut-être plus discrètem<strong>en</strong>t la composition complexe qui sera<br />

développée, notamm<strong>en</strong>t dans la pièce suivante, qui s’appelle « Rosas danst rosas » et un<br />

statut de l’interprétation qui différ<strong>en</strong>cie peut-être Anne Teresa de Keersmaeker de la<br />

froideur et de la distance qui peut apparaître parfois chez les post-modernes américains<br />

de cette même époque. Après le succès de « Fase », elle crée sa compagnie qu’elle<br />

appelle Rosas <strong>en</strong> 1983, où elle élabore « Rosas danst rosas », qui est un imm<strong>en</strong>se succès.<br />

En trois ans, elle va s’imposer comme une espèce de figure du proue de la nouvelle<br />

danse <strong>en</strong> Belgique. Son répertoire va s’<strong>en</strong>richir <strong>en</strong> 1984, d’une nouvelle création appelée<br />

« El<strong>en</strong>a’s aria ». Peu de g<strong>en</strong>s l’ont vue car elle a été jouée 20 ou 25 fois. Par contre, on<br />

connaît mieux le docum<strong>en</strong>taire de Marie André qui s’appelle « Répétitions », un film qui<br />

suit le travail de création, jusqu’à la veille de la première. C’est un film de danse sans<br />

danse, dans lequel on voit plutôt les questionnem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>tre la chorégraphe et ses interprètes.<br />

Il révèle une question c<strong>en</strong>trale : Est-ce qu’il faut continuer dans une manière qui<br />

a contribué au succès foudroyant de cette chorégraphe ou bi<strong>en</strong> chercher d’autres voies<br />

artistiques ? C’est de toute évid<strong>en</strong>ce la deuxième solution qui sera choisie.<br />

Je vais proposer qu’on jette un premier regard sur le style, et de temps <strong>en</strong> temps, je vais<br />

avancer comme ça comme deux fils <strong>en</strong>trecroisés sur le plan biographique, ce qui vous<br />

permettra de garder des repères. Comme je l’ai dit <strong>en</strong> introduction, pour compr<strong>en</strong>dre<br />

comm<strong>en</strong>t est structurée cette œuvre, il faut sans arrêt rev<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> avant, <strong>en</strong> arrière. C’est<br />

un voyage assez particulier.<br />

Une grammaire de la danse.<br />

Cette journée est placée sous le terme de l’écriture,<br />

qui prés<strong>en</strong>te pour moi une analogie avec la<br />

langue et convoque aussi les termes de syntaxe et de grammaire. Une grammaire de la<br />

danse, ça pourrait compr<strong>en</strong>dre dans un premier temps une morphologie, c’est à dire une<br />

étude des formes et des structures, c’est à dire, ce qu’on pourrait danser « à la manière<br />

de » Keersmaeker. Incontestablem<strong>en</strong>t, il y a eu une évolution. Entre une phrase issue de<br />

« Rosas danst rosas », qui serait (il montre la phrase dansée), 1982, et une phrase de<br />

« Rain », <strong>en</strong> 2000 qui serait (il montre la phrase dansée), vous voyez que ce n’est pas du<br />

tout le même travail formel.<br />

Dans un second temps, cette grammaire pourrait inclure une syntaxe, c’est à dire un ag<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t<br />

de formes au sein de ces phrases corporelles. C’est ce que de Keersmaeker appelle<br />

des phrases de base. Basic phrase. Ce concept de phrases corporelles est<br />

absolum<strong>en</strong>t c<strong>en</strong>tral dans son processus artistique et conditionne, d’une certaine manière,<br />

toute son esthétique. Alors, qu’est-ce que c’est qu’une phrase de base ? C’est une<br />

séqu<strong>en</strong>ce de mouvem<strong>en</strong>ts qui est conçue comme un germe, comme une cellule<br />

originelle et qui se déploie dans l’œuvre toute <strong>en</strong>tière, <strong>en</strong> compositions savantes, comme<br />

si on avait une graine qui se développait de plus <strong>en</strong> plus. Pour repr<strong>en</strong>dre la phrase que je<br />

vous ai montrée, (il montre la phrase), la phrase de base de « Rosas danst rosas » est<br />

construite sur une base rythmique assez complexe, qui est une addition d’une mesure à<br />

huit temps, plus sept temps, plus six temps, plus cinq temps, plus quatre, plus trois, plus<br />

deux, plus un. Celle que j’ai montrée, si je la découpe rythmiquem<strong>en</strong>t, ça va donner :<br />

« 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 1, 2, 3, 4, 5, 1, 2, 3, 4, 1, 2, 3,1, 2, 1 »,<br />

et ça repart à 8. Ça, c’est la phrase de base. Et là dedans, il y a des mom<strong>en</strong>ts où on va<br />

incruster quelque chose pour faire une variation, par exemple, je vais changer la mesure<br />

de 7. Et ça va donner : « 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 », et je retombe sur mon 6,<br />

mon 5, mon 4, mon 3, mon 2, mon 1. Je peux <strong>en</strong>suite changer le 6 et le 5 par exemple.<br />

Donc je retrouve le 8, le 7, et là, je vais changer, et je retombe sur le 4, le 3, le 2, le 1. A<br />

partir de cette phrase, qui est une phrase relativem<strong>en</strong>t simple, je vais développer, varier,<br />

accumuler, qui sont aussi les principes de construction chorégraphique de toute la postmodern<br />

danse. Si vous regardez le travail de Trisha Brown, de Lucinda Childs, on retrouve<br />

ces principes là : déclinaison, répétition, déformation. Mais je p<strong>en</strong>se que l’analogie avec<br />

la linguistique finalem<strong>en</strong>t, l’idée que la danse serait un langage au s<strong>en</strong>s premier du<br />

terme, évidemm<strong>en</strong>t s’arrête là, parce que les formes dansées sont souv<strong>en</strong>t des formes<br />

abstraites, et n’ont pas vocation à dev<strong>en</strong>ir des langues.<br />

Mais le terme d’écriture du mouvem<strong>en</strong>t se manifeste aussi à travers des figures de<br />

composition. L’<strong>en</strong>semble de ces procédures finit par révéler un style, c’est à dire, ce que<br />

j’appelais tout à l’heure, ce qui assimile l’œuvre à son créateur, ou finalem<strong>en</strong>t, la<br />

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