Mise en page 1 - Théâtre Massalia
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L’écriture au théâtre jeune public - Emerg<strong>en</strong>ce d’un nouveau langage ou nouveau rapport au public ? (2ème partie)<br />
pose, avant de poursuivre, une petite ponctuation.<br />
Lecture de Les Atrabilaires de B<strong>en</strong>oit Fourchard<br />
Désirée<br />
« Avec son air buté, elle tétanise son monde », dit ma mère au docteur. « Comm<strong>en</strong>t ça, elle tétanise son<br />
monde ? », répond le docteur. » Figurez vous qu’elle ne peut jamais baisser les yeux. Il faut toujours que ce<br />
soi<strong>en</strong>t les autres qui regard<strong>en</strong>t ailleurs. Vous vous r<strong>en</strong>dez compte ? A quatre ans ? Non mais pour qui elle<br />
se pr<strong>en</strong>d ? Il faut me donner des médicam<strong>en</strong>ts pour qu’elle arrête et qu’elle écoute ce qu’on lui dit. Sinon,<br />
c’est sûr, je serais obligée de la corriger et de la remettre au cagibi ».<br />
Le cagibi ? ça me fait p<strong>en</strong>ser à KGB. Une sorte de placard. Juste sous l’escalier. Le docteur lui, dit que le<br />
cagibi, ce n’est pas forcém<strong>en</strong>t une bonne idée. Il existe peut-être d’autres moy<strong>en</strong>s un peu moins cœrcitifs.<br />
« Chez les Paradis, il n’y a pas de cœrcitifs qui ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t. Moi et mon mari, on est pour une éducation à la<br />
dure, vous voyez ? ». Paradis. Désirée Paradis. Oui, je sais, c’est gratiné. Désirée. Tout ce que je ne suis<br />
pas. Ma mère voulait Dorothée, à cause du Club. Elle aurait aimé lui ressembler, à Dorothée. C’est plutôt<br />
raté. « Au moins, ça rattrapera », elle disait. Mais à l’Etat Civil, ils se sont emberlificoté les pinceaux. Des<br />
fois, à l’école, on m’appelle Vanessa, à cause de la chanteuse. On pourrait croire que ma vie avait comm<strong>en</strong>cé<br />
sous de bonnes étoiles. Moi, je ne veux pas qu’on me compare. Je suis moi. Et ceux qui ne compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas,<br />
je les tétanise du regard. Après ça file doux. D’autres fois, il y <strong>en</strong> a qui dis<strong>en</strong>t : « Chez Paradis, c’est l’<strong>en</strong>fer<br />
». Là, je fais la sourde oreille.<br />
Dans le cagibi, je suis organisée, à tâtons, parce que, à part un filet de lumière sous la porte, on y voit ri<strong>en</strong>.<br />
Avec une cagette j’ai fait une table. Avec une serpillière, une nappe. Avec la paillasse, un canapé. Avant<br />
d’être un cagibi, ce réduit était un débarras. Il suffit que je tâtonne, et je trouve des trésors. J’attrape des<br />
yeux de chats. Mes doigts devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t experts <strong>en</strong> exploration, comme s’il étai<strong>en</strong>t équipés de petites têtes chercheuses.<br />
Il n’y a que mon nez qui a du mal à s’habituer.<br />
« Et puis vous savez, docteur, cette gosse, elle n’a jamais pleuré. Même à sa naissance. Elle regardait son<br />
monde, avec son air insol<strong>en</strong>t. Moi quand je l’ai vue, là posée sur mon v<strong>en</strong>tre, j’ai failli vomir. Finalem<strong>en</strong>t, j’ai<br />
pleuré. Oui, moi j’ai pleuré. Et pas de bonheur, je peux vous le garantir. Elle m’observait avec ses yeux pointus.<br />
Elle me défiait, docteur, je vous jure. Déjà qu’avec mon mari, on voulait pas d’autres gosses. Avec les<br />
quatre garçons, on a déjà bi<strong>en</strong> assez à faire. Mais vous savez ce que c’est… les hommes, quand ils ont <strong>en</strong>vie…<br />
Qu’est-ce qu’on peut y faire. En tout cas, elle n’a jamais pleuré, même quand elle a fait ses d<strong>en</strong>ts ». « Vous<br />
n’allez pas vous plaindre. Il y a plein de mamans qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t me voir parce que leurs <strong>en</strong>fants ne cess<strong>en</strong>t de<br />
crier ». « Je me demande si j’aurais pas préféré ». « Quoi qu’il <strong>en</strong> soit, si vous pouviez éviter le cagibi… ».<br />
« Mais elle est habituée. Hein, qu’tes habituée ? Mais réponds donc, quand on te parle ! ». Non, je ne<br />
réponds pas. Je regarde le docteur, fixem<strong>en</strong>t, il baisse les yeux. Je souris à l’intérieur. « Je vous prescris un peu<br />
d’homéopathie. Quelques gouttes. A pr<strong>en</strong>dre au mom<strong>en</strong>t des repas ». « De toute façon, ça ne pourra pas lui<br />
faire de mal. Vous ne l’auscultez pas ? ». « Pourquoi faire ? Elle est <strong>en</strong> parfaite santé ! ».<br />
Dominique Bérody<br />
Paroles aux metteurs <strong>en</strong> scène, maint<strong>en</strong>ant, avec Sylviane Fortuny et Christian Duchange.<br />
Sylviane Fortuny, figure marquante, si tu me le permets, de l’histoire, réc<strong>en</strong>te, mais histoire<br />
quand même. Elle a traversé et suivi de très nombreux projets et a fait de nombreuses<br />
mises <strong>en</strong> scènes. Elle a croisé égalem<strong>en</strong>t l’av<strong>en</strong>ture du Théâtre de Sartouville avec<br />
Heyoka, Kim Vinter, et Bernard Sultan, avec des productions qui ont énormém<strong>en</strong>t tourné,<br />
que ce soit avec « Les Draps du Rêve », « Le Lit Marine », « Jardin d’<strong>en</strong>fance ». La r<strong>en</strong>contre<br />
avec Philippe Dorin, dans sa période petits papiers, a influ<strong>en</strong>cé son travail, mais<br />
aussi celle de Pierre Blaise, du Théâtre Sans Toit, avec des collaborations sur des fabrications<br />
de marionnettes. Plus récemm<strong>en</strong>t, avec la compagnie Pour Ainsi Dire, ce sont des<br />
spectacles : « Le Monde, point, à la ligne », « En att<strong>en</strong>tant le Petit Poucet ». Elle est aussi<br />
comédi<strong>en</strong>ne manipulatrice, et a fait une création de la compagnie de l’Oliphant, « La<br />
Reine Contrefaite ». Plus récemm<strong>en</strong>t, « Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur<br />
le feu ». Elle a égalem<strong>en</strong>t fait un projet avec Françoise Pillet et Joël Da Silva, qui était une<br />
correspondance inv<strong>en</strong>tée par eux, « Emile et Angèle, Correspondance », qui était une coproduction<br />
québécoise. Plus récemm<strong>en</strong>t, elle a travaillé avec Joëlle Rouland, dans un<br />
projet qui a beaucoup marqué, qui vi<strong>en</strong>t de sortir, avec Agnès Desfosses, « L’Envolée ».<br />
C’est vraim<strong>en</strong>t l’itinéraire d’une comédi<strong>en</strong>ne dev<strong>en</strong>ue « metteuse <strong>en</strong> scène ». Sur les<br />
questions du texte mais <strong>en</strong>core, et sur les déplacem<strong>en</strong>t du théâtre, j’aimerais que tu nous<br />
dises un peu comm<strong>en</strong>t tu travailles, à quel mom<strong>en</strong>t tu intervi<strong>en</strong>s, et quelle est ta préoccupation<br />
majeure, parce que tu sais malgré tout que tu t’adresses à un public d’<strong>en</strong>fants.<br />
C’est donc la metteuse <strong>en</strong> scène qui nous intéresse ici.<br />
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