Mise en page 1 - Théâtre Massalia
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Ecriture et notation musicales : L’écriture et l’espace - Confér<strong>en</strong>ce-concert de Nicolas Frize<br />
chambres pour une personne, rarem<strong>en</strong>t pour deux. C’est rare qu’on dise : « Je voudrais<br />
être avec quelqu’un d’autre ». Il y a certains médecins qui font l’effort, quand ils vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
pour faire les soins, de demander à l’autre personne de sortir, de façon à pouvoir parler<br />
avec elle dans un secret médical, ce qui est assez rare. Le fait d’avoir fait des prises de<br />
son dans cet hôpital a généré énormém<strong>en</strong>t de… <strong>en</strong>fin, c’est un travail de musici<strong>en</strong> qui<br />
consiste à se dire : « Il y a des choses que l’on ne peut s<strong>en</strong>tir, que l’on ne peut compr<strong>en</strong>dre<br />
que par l’oreille. Si on ne fait que les<br />
« Il y a des choses que l’on ne<br />
peut s<strong>en</strong>tir, que l’on ne peut<br />
compr<strong>en</strong>dre que par l’oreille.<br />
Si on ne fait que les regarder,<br />
ou les analyser, et bi<strong>en</strong> il y aura<br />
des choses que l’on ne verra pas.<br />
Il y a des choses qui ne se dis<strong>en</strong>t<br />
que par l’oreille ».<br />
regarder, ou les analyser, et bi<strong>en</strong> il y aura<br />
des choses que l’on ne verra pas. Il y a des<br />
choses qui ne se dis<strong>en</strong>t que par l’oreille ».<br />
J’ai deux exemples : j’étais <strong>en</strong>train d’<strong>en</strong>registrer<br />
dans un service, et je faisais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre<br />
au personnel et aux infirmières mes<br />
prises de sons. Il y a une infirmière qui me<br />
dit : « C’est bizarre, ça fait deux mois que<br />
vous êtes là et vous n’avez toujours pas<br />
<strong>en</strong>registré la douleur ». J’étais un peu vexé<br />
parce que c’était mon métier de faire des<br />
prises de sons, j’avais du bon matériel…<br />
je lui ai dit : « Mais, j’<strong>en</strong>registre ce qu’il y<br />
a, je ne peux pas inv<strong>en</strong>ter des choses qui<br />
ne s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t pas. Elle me dit : « Oui,<br />
mais justem<strong>en</strong>t, ça s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d, et vous êtes<br />
passé à côté d’une chambre où il y a un<br />
monsieur qui souffre depuis très longtemps et je l’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds parce que j’y vi<strong>en</strong>s<br />
régulièrem<strong>en</strong>t ». Et je me suis demandé pourquoi je n’avais pas <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du. Je ne l’avais pas<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du parce que les micros sont bêtes.<br />
Ce jour là, j’ai compris que tout le travail de mémoire que j’avais déjà fait était un travail<br />
insuffisant. En fait, peu nous importe la réalité, ce qui nous intéresse, c’est ce que nous,<br />
nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dons. Il faut que je fasse la mémoire de ce que les g<strong>en</strong>s <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t et non pas<br />
la mémoire du prés<strong>en</strong>t, de l’existant. Le micro, lui, <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d tout. Il n’a pas de sélection<br />
auditive, il n’a pas d’intellig<strong>en</strong>ce, il n’a pas de culture. Du coup, quand il <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d les télévisions,<br />
les portes qui claqu<strong>en</strong>t, il croit que c’est ça. Sauf que l’infirmière, elle, fait la distinction<br />
<strong>en</strong>tre tous ces sons là et certains sons, qui sont le souffle de la personne, ou ses<br />
difficultés à respirer, ou peut-être certains râles, qui pass<strong>en</strong>t derrière <strong>en</strong> int<strong>en</strong>sité ou qui<br />
le couvr<strong>en</strong>t. Mais, elle, elle fait la différ<strong>en</strong>ce, elle fait la distinction. Comme une maman,<br />
une jeune maman, qui reçoit des amis à la maison, qui laisse la porte de la chambre<br />
ouverte, et qui, à un mom<strong>en</strong>t donné se lève, et part à la chambre, parce que le bébé s’est<br />
réveillé et c’est elle qui l’a <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du. Parce qu’elle a une sélection auditive, elle sait écouter<br />
dans un c<strong>en</strong>tre de fréqu<strong>en</strong>ce, des sons qui sont beaucoup moins forts que les autres<br />
et qui ont pour elle du s<strong>en</strong>s.<br />
Donc j’ai comm<strong>en</strong>cé de modifier tout mon travail de son qui a consisté à me dire, il faut<br />
que j’aille écouter, non pas ce qu’il y a à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, mais ce que les g<strong>en</strong>s <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t. Les<br />
g<strong>en</strong>s qui habit<strong>en</strong>t là. Donc, il faut que je sache ce qu’ils <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t. Et du coup, j’appr<strong>en</strong>ais<br />
aussi mon métier de musici<strong>en</strong>, parce que je me disais : « Si moi, je crois que je fais<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, je vous fais <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ce que vous avez <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du tout à l’heure, et que je vous<br />
pose la question, personne n’a <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du la même chose. Parce que vous avez une plus ou<br />
moins grande connaissance de ces bruits industriels, plus ou moins <strong>en</strong>vie de les <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre,<br />
une plus ou moins grande disposition à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre des choses musicales ou des choses<br />
bruyantes, chaotiques et finalem<strong>en</strong>t un peu désagréables. Ce qui est important, c’est<br />
ce que vous recomposez. En fait, la musique, c’est vous qui la faites. Moi je ne fais que<br />
vous apporter des associations, et vous, vous la construisez et <strong>en</strong> faites ce que vous avez<br />
<strong>en</strong>vie. Donc je suis reparti <strong>en</strong>registrer cet homme. Il a fallu que je choisisse mes micros<br />
pour qu’ils soi<strong>en</strong>t sélectifs comme l’oreille. Et puis, il fallait que j’arrive à compr<strong>en</strong>dre ce<br />
que elle, elle <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait et qu’est-ce qu’elle <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait à travers ça. Pour <strong>en</strong>registrer quelque<br />
chose qui est très doux, comme quelqu’un qui souffre, il faut se rapprocher de lui.<br />
Et quand on se rapproche, du coup, on r<strong>en</strong>tre <strong>en</strong> relation avec lui. Et quelqu’un qui souffre,<br />
devant quelqu’un qui a des micros, il n’a peut-être plus <strong>en</strong>vie de souffrir. C’est là<br />
qu’on s’est r<strong>en</strong>du compte que, quand on est à l’hôpital ; c’est pas les autres, c’est nous ;<br />
quand la famille arrive, on a <strong>en</strong> général assez mal. Vous avez remarqué ? On souffre beaucoup<br />
plus. Et puis quand c’est le médecin qui arrive, comme on a <strong>en</strong>vie de s’<strong>en</strong> aller, ça<br />
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