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Mise en page 1 - Théâtre Massalia

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Du fait divers à la fiction, le cas Roberto Zucco par Jean-Pierre Ryngaert<br />

L’INSPECTEUR. - Ainsi donc, il t’a dit qu’il était ag<strong>en</strong>t secret. C’est étrange. En principe, un ag<strong>en</strong>t<br />

secret doit rester secret.<br />

LA GAMINE. - Je lui ai dit que je garderai ce secret quoi qu’il arrive.<br />

LE COMMISSAIRE. - Bravo. Si tous les secrets étai<strong>en</strong>t gardés comme cela, notre travail serait facile.<br />

LA GAMINE. - Il m’a dit qu’il allait faire des missions <strong>en</strong> Afrique, dans les montagnes, là où il y a de<br />

la neige tout le temps.<br />

L’INSPECTEUR. - Un ag<strong>en</strong>t allemand au K<strong>en</strong>ya.<br />

LE COMMISSAIRE. - Les suppositions de la police n’étai<strong>en</strong>t pas si fausses, après tout.<br />

L’INSPECTEUR. - Elles étai<strong>en</strong>t exactes, commissaire. Son nom maint<strong>en</strong>ant ? Tu le sais ? Tu dois le<br />

savoir puisque c’était ton ami.<br />

LA GAMINE. - Oui, je le sais.<br />

LE COMMISSAIRE. - Dis-le.<br />

LA GAMINE. - Je le sais, très bi<strong>en</strong>.<br />

LE COMMISSAIRE. - Tu te moques de nous, gamine. Est-ce que tu veux des gifles ?<br />

LA GAMINE. - Je ne veux pas de gifles. Je le sais mais je n’arrive pas à le dire.<br />

L’INSPECTEUR .- Comm<strong>en</strong>t ça tu n’arrives pas à le dire ?<br />

LA GAMINE. - Je l’ai là, au bout de la langue.<br />

LE COMMISSAIRE. - Au bout de la langue, au bout de la langue. Tu veux des gifles et des coups de<br />

poings, et qu’on te tire les cheveux ? On a des salles équipées tout exprès, si tu veux.<br />

LA GAMINE. - Non, je l’ai là ; il va v<strong>en</strong>ir.<br />

L’INSPECTEUR. - Son prénom au moins. Tu dois bi<strong>en</strong> t’<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>ir, tu as bi<strong>en</strong> dû lui lécher cela dans<br />

l’oreille.<br />

LE COMMISSAIRE .- Un prénom, un prénom. N’importe lequel où je te traîne dans la salle de torture.<br />

LA GAMINE. - Andréas.<br />

L’INSPECTEUR. - Notez : Andréas. Tu es sûre ?<br />

LA GAMINE. - Non.<br />

LE COMMISSAIRE. - Je vais la tuer.<br />

L’INSPECTEUR. - Accouche de cette saloperie de nom, ou je t’<strong>en</strong> mets une dans la gueule. Dépêche-toi<br />

ou tu t’<strong>en</strong> souvi<strong>en</strong>dras.<br />

LA GAMINE. - Angelo<br />

L’INSPECTEUR. - Un Espagnol.<br />

LE COMMISSAIRE. - Ou un Itali<strong>en</strong>. Ou un Brésili<strong>en</strong>, un Portugais, un Mexicain : j’ai même connu<br />

un Berlinois qui s’appelait Julio.<br />

L’INSPECTEUR. - Vous <strong>en</strong> savez des choses commissaire. Je m’énerve.<br />

LA GAMINE. - Je le s<strong>en</strong>s, au bord des lèvres.<br />

LE COMMISSAIRE. - Tu veux une tape sur les lèvres, pour le faire v<strong>en</strong>ir ?<br />

LA GAMINE. - Angelo, Angelo Dolce ou quelque chose comme cela.<br />

L’INSPECTEUR. - Dolce ? Comme doux ?<br />

LA GAMINE. - Doux, oui. Il m’a dit que son nom ressemblait à un nom étranger qui voulait dire doux,<br />

ou sucré. Il était si doux, si g<strong>en</strong>til.<br />

L’INSPECTEUR. - Il y a beaucoup de mots pour dire sucré, je suppose.<br />

LE COMMISSAIRE. - Azucarado, zuccherato, sweet<strong>en</strong>ed, gezuckert, et ocukrzony.<br />

L’INSPECTEUR. - Je sais tout cela, commissaire.<br />

LA GAMINE. - Zucco. Zucco. Roberto Zucco.<br />

L’INSPECTEUR. - Tu <strong>en</strong> es sûre?<br />

LA GAMINE. - Sûre. J’<strong>en</strong> suis sûre.<br />

LE COMMISSAIRE. - Zucco. Avec un Z ?<br />

LA GAMINE. - Oui, avec un Z. Oui. Roberto avec un Z.<br />

L’INSPECTEUR. - Conduisez-la faire sa déposition.<br />

LA GAMINE. - Et mon frère ?<br />

LE COMMISSAIRE. - Ton frère, quel frère ? Mais qu’as-tu besoin d’un frère ? Nous sommes là.<br />

Ils sort<strong>en</strong>t<br />

e revi<strong>en</strong>s à mes étudiants qui donc avai<strong>en</strong>t travaillé cette scène et <strong>en</strong> bavardant avec<br />

eux, j’ai découvert le pot aux roses de la grosse bagarre. L’un des étudiants était le fils<br />

d’une policière et d’un commissaire de police, et ça le r<strong>en</strong>dait totalem<strong>en</strong>t sourd à toute<br />

considération pour ses cours d’esthétique théâtrale, ou même pour une év<strong>en</strong>tuelle référ<strong>en</strong>ce<br />

à des films de série B largem<strong>en</strong>t cités par Koltès dans cette scène.<br />

Pour lui, le réel c’était le réel. Et c’est bi<strong>en</strong> notre question ce soir. Alors, j’aborde la question<br />

de Roberto Zucco et le fait divers. Je ne vais pas rester longtemps sur l’analyse formelle<br />

de la pièce, qui est souv<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>tée, pour n’<strong>en</strong> souligner que quelques traits.<br />

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