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Mise en page 1 - Théâtre Massalia

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Prélude à un Abécédaire des nouvelles écritures théâtrales par Daniel Lemahieu<br />

grand-chose à réaliser si ce n’est épouser le texte. Évidemm<strong>en</strong>t, il faut construire les images,<br />

les mettre <strong>en</strong> scène, les interpréter. Mais cette texture fonctionne très bi<strong>en</strong>. Quand<br />

Patrice Chéreau crée l’œuvre au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, il dirige des acteurs<br />

qui connaiss<strong>en</strong>t cette musique scripturale : Michel Piccoli, Philippe Léotard et autres. Et<br />

le résultat étonne.<br />

Combat de nègre et de chi<strong>en</strong>s de Bernard-Marie Koltès<br />

HORN. – Vous, je ne vous avais jamais vu par ici. V<strong>en</strong>ez boire un whisky, ne restez pas<br />

derrière cet arbre, je vous vois à peine. V<strong>en</strong>ez vous asseoir à la table, monsieur. Ici, au<br />

chantier, nous <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ons d’excell<strong>en</strong>ts rapports avec la police et les autorités locales ;<br />

je m’<strong>en</strong> félicite.<br />

ALBOURY. – Depuis que le chantier a comm<strong>en</strong>cé, le village parle beaucoup de vous. Alors<br />

j’ai dit : voilà l’occasion de voir le Blanc de près. J’ai <strong>en</strong>core, monsieur, beaucoup de choses<br />

à appr<strong>en</strong>dre et j’ai dit à mon âme : cours jusqu’à mes oreilles et écoute, cours jusqu’à<br />

mes yeux et ne perds ri<strong>en</strong> de ce que tu verras.<br />

HORN. – En tous les cas, vous vous exprimez admirablem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> français ; <strong>en</strong> plus de l’anglais<br />

et d’autres langues, sans doute ; vous avez tous un don admirable pour les langues,<br />

ici. Etes-vous fonctionnaire ? Vous avez la classe d’un fonctionnaire. Et puis, vous savez<br />

plus de choses que vous ne le dites. Et puis à la fin, tout cela fait beaucoup de complim<strong>en</strong>ts.<br />

ALBOURY. – C’est une chose utile, au début.<br />

HORN. – C’est étrange. D’habitude, le village nous <strong>en</strong>voie une délégation et les choses<br />

s’arrang<strong>en</strong>t vite. D’habitude, les choses se pass<strong>en</strong>t plus pompeusem<strong>en</strong>t mais rapidem<strong>en</strong>t<br />

: huit ou dix personnes, huit ou dix frères du mort ; j’ai l’habitude des transactions rapides.<br />

Triste histoire pour votre frère ; vous vous appelez tous « frères » ici. La famille veut<br />

un dédommagem<strong>en</strong>t ; nous le donnerons, bi<strong>en</strong> sûr, à qui de droit, s’ils n’exagèr<strong>en</strong>t pas.<br />

Mais vous, pourtant, je suis sûr de ne vous avoir <strong>en</strong>core jamais vu.<br />

ALBOURY. – Moi, je suis seulem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>u pour le corps, monsieur, et je repartirai dès que<br />

je l’aurai.<br />

HORN. – Le corps, oui oui oui ! Vous l’aurez demain. Excusez ma nervosité ; j’ai de grands<br />

soucis. Ma femme vi<strong>en</strong>t d’arriver ; depuis des heures elle range ses paquets, je n’arrive<br />

pas à savoir ses impressions. Une femme ici, c’est un grand bouleversem<strong>en</strong>t ; je ne suis<br />

pas habitué.<br />

ci, la profération du mot corps fonctionne comme une stichomythie. Stichomythie :<br />

succession de courtes répliques de même longueur ou de longueur voisine qui permet<br />

un échange verbal rapide, voire une confrontation, un combat, <strong>en</strong>tre deux personnages.<br />

On récupère le son que l’un donne et on le relance. « Je suis seulem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>u pour le<br />

corps, Monsieur, et je repartirai dès que je l’aurai. » L’autre répond : « Le corps, oui oui<br />

oui ! »<br />

Et maint<strong>en</strong>ant, l’abécédaire, à tout le moins le prélude.<br />

A / « Allegro »<br />

« Allegro vivace » : la parole qui va vite. Elle fuse. « Vite fait mal fait », comme dirait Paul<br />

Claudel. Point de vue de Valère Novarina : « Il faut tout jouer allegro, pas de temps,<br />

jamais. Le théâtre classique devait être joué comme ça. Molière ou Shakespeare, ça va à<br />

toute allure. Toscanini qui est musici<strong>en</strong> et chef d’orchestre pareil. Ce sont les metteurs<br />

<strong>en</strong> scène qui s’ét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t, qui ral<strong>en</strong>tiss<strong>en</strong>t. L’acteur va vite, l’écriture va toujours à toute<br />

allure. Tartuffe. Héraclius. Coriolan . À la création, ça ne traînait sûrem<strong>en</strong>t pas. Parce que<br />

le langage surpr<strong>en</strong>d. Il est saisi dans sa marche. Parce que le langage ne se compr<strong>en</strong>d<br />

qu’<strong>en</strong> allant. Le s<strong>en</strong>s n’apparaît que dans l’av<strong>en</strong>ture déséquilibrée de la marche. Je<br />

demandais aux acteurs de toujours chasser les temps. Jamais aucun sil<strong>en</strong>ce ou presque.<br />

Parce que dans les temps s’<strong>en</strong>gouffr<strong>en</strong>t l’émotion toute faite, la psychologie. C’est<br />

l’homme qu’il faut maint<strong>en</strong>ant chasser du théâtre. Son insupportable perpétuel p<strong>en</strong>chant<br />

à l’autoportrait. Au théâtre, il faut être des animaux. » Interpeller <strong>en</strong> l’écartelant<br />

dans l’espace, non notre humanité, mais notre « pantinitude ». Parce qu’on est des pantins.<br />

« Par la parole, sortir <strong>en</strong> volutes des bouches de voix et s’<strong>en</strong> étonner. S’étonner de<br />

ce ruban matériel qu’on souffle ».<br />

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