Mise en page 1 - Théâtre Massalia
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Ecriture et notation musicales : L’écriture et l’espace par Nicolas Frize<br />
et comme c’est un mom<strong>en</strong>t où, précisém<strong>en</strong>t, on change d’id<strong>en</strong>tité, on se dit que justem<strong>en</strong>t,<br />
ce n’est pas le mom<strong>en</strong>t où l’on sait qui on est. Donc pr<strong>en</strong>dre la parole à cet âge là<br />
est un acte compliqué, et j’ai voulu parler de cette fragilité.<br />
Quand on fait chanter des adolesc<strong>en</strong>ts, on a précisém<strong>en</strong>t, et ça r<strong>en</strong>voie à ce que je disais<br />
sur les amateurs, des voix qui sont extrêmem<strong>en</strong>t intéressantes et qui parl<strong>en</strong>t de nous, qui<br />
parl<strong>en</strong>t du monde. La musique a besoin de ces voix. Si la musique continuait de survivre<br />
sans que l’on ait écrit pour des adolesc<strong>en</strong>ts, pour cette voix d’un garçon de 15 ans ou une<br />
fille de 12 ans, on serait fous. On ne peut pas se passer de ça. Quand un adolesc<strong>en</strong>t<br />
chante ou parle, il nous dit bi<strong>en</strong> autre chose que ce qu’il veut dire. Et sa voix traduit quelque<br />
chose qui est de l’ordre de l’ambiguïté, de la fragilité, de la mue, à tous les s<strong>en</strong>s du<br />
terme, de la métamorphose. C’est quelque chose qui nous apparti<strong>en</strong>t à vie, qu’on a vécu<br />
à l’adolesc<strong>en</strong>ce, mais qui nous reste, qu’on revit dans l’inhibition, qu’on revit dans la difficulté<br />
d’id<strong>en</strong>tité, et qu’on va aussi revivre dans des mom<strong>en</strong>ts de fragilité, des mom<strong>en</strong>ts<br />
forts, des mom<strong>en</strong>ts émotionnels, des mom<strong>en</strong>ts amoureux, des mom<strong>en</strong>ts où on vit tout<br />
avec int<strong>en</strong>sité, des mom<strong>en</strong>ts où on vit tout dans l’excès parce que l’on ne met pas de<br />
mots sur les choses.<br />
Donc je suis allé dans une friche industrielle à la Plaine Saint-D<strong>en</strong>is, qui était déserte. J’ai<br />
fait sortir deux tours du sol, que j’ai <strong>en</strong>tourées de sable. J’y ai mis des projecteurs. J’ai<br />
campé ces deux ados là-haut, avec un micro. Le public n’est pas invité à cet <strong>en</strong>droit là.<br />
Des g<strong>en</strong>s sont v<strong>en</strong>us voir, mais pour moi c’était un peu conceptuel, comme une œuvre<br />
qu’on ne voit pas. Je fais allusion à une œuvre de Walter De Maria, qui s’appelle « Earth<br />
Kilometre », qui est un tube d’un kilomètre de bronze, qui est coulé dans la terre. Ils ont<br />
foré à un kilomètre de profondeur, et il y a un mètre qui sort. Vous voyez le mètre qui sort,<br />
c’est l’œuvre, mais vous savez qu’il y a 999 mètres qui sont sous terre. C’est la définition<br />
pour moi absolue de l’art conceptuel. Donc, là, c’est un peu ça. La disposition de ces<br />
deux adolesc<strong>en</strong>ts est un peu anecdotique. Pour moi, elle est <strong>en</strong>tre deux rails, elle est<br />
dans une Friche, dans un <strong>en</strong>droit de métamorphose, un <strong>en</strong>droit abandonné. Ça pourrait<br />
se reconstruire mais on ne sait pas <strong>en</strong>core comm<strong>en</strong>t. Avec des choses qui sort<strong>en</strong>t de terre<br />
et qui sont, <strong>en</strong> même temps, <strong>en</strong>tre des voies désertes.<br />
Leur micro est sonorisé dans la Plaine Saint-D<strong>en</strong>is, à travers des <strong>en</strong>ceintes que je dispose<br />
sur les toits des immeubles, pour reproduire des muezzins, comme dans les villes<br />
arabes. J’ai été très frappé à Marrakech, ou à Alger, où j’ai pu faire des concerts, de la<br />
puissance évocatrice de ces muezzins, leur beauté évocatrice quand ils se mett<strong>en</strong>t tous<br />
<strong>en</strong> marche. Et quand on habite à côté d’un minaret, et qu’on comm<strong>en</strong>ce à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre les<br />
voix qui sont très proches, et tout d’un coup, on <strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d un qui est à 600 mètres, un<br />
autre à 1 kilomètre, un autre <strong>en</strong>core plus loin… Tout se mélange, il y a une profondeur<br />
de champ. C’est d’une beauté inimaginable. Indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t du cont<strong>en</strong>u religieux ou<br />
de l’autoritarisme territorial que ça suppose, et qui peut poser problème. En tout cas sur<br />
un plan totalem<strong>en</strong>t acoustique, je trouve que c’est une expéri<strong>en</strong>ce musicale d’une beauté<br />
assez rare. J’ai eu <strong>en</strong>vie de reproduire ça. Avec différ<strong>en</strong>tes autorisations nécessaires, j’ai<br />
fait <strong>en</strong> sorte, sur 6 kilomètres carrés, c’est à dire toute la Plaine Saint-D<strong>en</strong>is, de la Porte<br />
de Paris à la Porte de la Chapelle et <strong>en</strong>tre Aubervilliers et Saint-Ou<strong>en</strong>, qu’on puisse<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ces deux voix d’adolesc<strong>en</strong>ts très fort. Enfin, qu’on puisse les <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre parfaitem<strong>en</strong>t<br />
dans l’<strong>en</strong>semble de l’espace public. Six mois avant, j’ai distribué la partition dans<br />
les Postes, dans les pharmacies, dans les boulangeries, pour que tout le monde puisse<br />
l’avoir et la suivre, et écouter depuis chez soi ces voix fragiles qui n’os<strong>en</strong>t pas parler et<br />
qui cette fois ci, s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t de partout.<br />
Un dispositif spatial qui<br />
est lié à un cont<strong>en</strong>u.<br />
Là, on est vraim<strong>en</strong>t sur un dispositif spatial qui est lié à<br />
un cont<strong>en</strong>u. Il y a des g<strong>en</strong>s qui ont laissé tomber la partition,<br />
et qui se sont prom<strong>en</strong>és <strong>en</strong> vélo dans la ville pour<br />
écouter le concert <strong>en</strong> se déplaçant, <strong>en</strong> essayant de voir<br />
comm<strong>en</strong>t, quand ils quitt<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>droit sonorisé, ils arriv<strong>en</strong>t dans un <strong>en</strong>droit où c’est<br />
beaucoup plus faible, et ils trouv<strong>en</strong>t un immeuble un peu plus loin.<br />
Là on est au fond d’un stade nautique que j’ai vidé. Le public est autour. C’est une pièce<br />
pour un grand <strong>en</strong>semble vocal, avec une partition géante au fond. On est toujours dans<br />
le travail sur la voix. La voix immergée.<br />
Je ne vais pas faire trop de discours sur chaque scénographie. Pour l’instant, on parcourt<br />
des rapports à l’espace. Ici on voit des musici<strong>en</strong>s qui sont partout dans l’espace. La dame<br />
par exemple qui est là, c’est une dame du public. Une dame très forte, qui a peur d’avoir<br />
des difficultés à se relever, donc elle s’assoit sur le bord d’un plateau sur lequel il y a des<br />
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