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Mise en page 1 - Théâtre Massalia

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L’œuvre de Anne Teresa de Keersmaker par Philippe Guisgand<br />

regarde pas seulem<strong>en</strong>t du côté de l’Amérique, mais qu’elle jette aussi un autre coup<br />

d’œil <strong>en</strong> direction de Pina Bausch notamm<strong>en</strong>t. Mais jamais dans sa danse n’émerge ce<br />

qu’on pourrait appeler de personnages. C’est à dire que chez elle, la croyance, la<br />

confiance <strong>en</strong> une expressivité du mouvem<strong>en</strong>t lui-même, est assez t<strong>en</strong>ace, et fait qu’elle<br />

n’a pas besoin d’aller jusqu’à une incarnation de ce qu’on appellerait, au théâtre, des<br />

personnages. Elle dit d’ailleurs : « Je ne comm<strong>en</strong>ce jamais à travailler sur une production<br />

<strong>en</strong> disant : là, c’est avec telle émotion que je veux travailler. Les choses se produis<strong>en</strong>t de<br />

façon artisanale et d’une manière physique. J’aime tel mouvem<strong>en</strong>t, et ce mouvem<strong>en</strong>t<br />

définit ce que je veux dire exactem<strong>en</strong>t ».<br />

Cette conception interprétative assez originale à cette époque là, impose l’idée que la<br />

moindre différ<strong>en</strong>ce d’interprétation du mouvem<strong>en</strong>t, dans la mesure où elle est dans un<br />

registre qui est quand même relativem<strong>en</strong>t répétitif, est lourde de s<strong>en</strong>s dans la perception,<br />

par le spectateur, des états de danse qui sont sur scène. De ce point de vue, la<br />

révélation de l’intimité des danseuses, dans « Rosas danst rosas », par exemple, est tout<br />

à fait caractéristique. Malgré le carcan de la composition, « Rosas danst rosas » est une<br />

pièce pour un quatuor de femmes qui rest<strong>en</strong>t <strong>en</strong> scène p<strong>en</strong>dant plus de deux heures,<br />

avec une structure et une charge de mémoire absolum<strong>en</strong>t exceptionnelle, puisqu’on est<br />

toujours sur les même phrases, mais déclinées avec une infinité de détails, sur une<br />

musique où on a très peu de repères si elle n’est pas comptée.<br />

C’est parfaitem<strong>en</strong>t révélateur de cette manière de dévoiler des états, à cette époque là. Du<br />

coup, on n’a jamais de recréation d’une sorte d’état artificiel. On a une espèce de corps,<br />

qui est à la fois la forme et à la fois une transpar<strong>en</strong>ce, qui laisse adv<strong>en</strong>ir la personne qu’est<br />

le danseur, et pas simplem<strong>en</strong>t, comme on le disait tout à l’heure, quelqu’un qui serait un<br />

interprète au service d’une vision chorégraphique. Ce qui fait que ce qui se voit très souv<strong>en</strong>t,<br />

aujourd’hui ça paraît normal parce qu’il y a une forme de naturel qui s’est installé<br />

sur les plateaux, et qui fait que c’est dev<strong>en</strong>u peut-être plus banal, mais pas du tout à l’époque,<br />

c’est l’idée de conniv<strong>en</strong>ce qu’on voit <strong>en</strong>tre les danseurs sur le plateau,<br />

d’<strong>en</strong>traide, d’incitations solidaires, qui sont très fréqu<strong>en</strong>tes. Fumiyo Ikeda, que vous voyez<br />

là au premier plan, la petite danseuse japonaise de la compagnie Rosas, me disait : « Il y<br />

a <strong>en</strong>core des g<strong>en</strong>s 25 ans après qui me demand<strong>en</strong>t pourquoi à ce mom<strong>en</strong>t là je suis sortie<br />

du plateau boire un verre, ou qu’est-ce que ça veut dire, quand je parle à untel. Ça ne veut<br />

ri<strong>en</strong> dire, si je bois c’est parce que j’ai soif, et si je lui parle, c’est parce que j’ai quelque<br />

chose à lui dire, qu’il s’est trompé de 10 c<strong>en</strong>timètres, ou qu’il m’a marché sur le pied ». Il y<br />

a une forme de naturel, qu’on retrouve aussi dans une forme de théâtre<br />

flamand, qui a peut-être un peu fait école, qui est au départ, relativem<strong>en</strong>t spécifique à<br />

cette compagnie.<br />

Donc, d’une certaine manière, la chorégraphe laisse exister un jeu. Un jeu comme on dit<br />

d’un mécanisme, d’une serrure par exemple, qu’elle a du jeu. Il y a un espace dans lequel<br />

peuv<strong>en</strong>t s’<strong>en</strong>gouffrer des qualités interprétatives individuelles. Keersmaeker le définit<br />

ainsi : « C’est une espèce de degré 0 qu’on pr<strong>en</strong>d comme point de départ <strong>en</strong> étant<br />

soi-même. La plus belle chose qu’on peut donner, c’est nous-mêmes dans toute notre<br />

force, notre fragilité. Le point premier, c’est d’être là, ici et maint<strong>en</strong>ant. Dans le même<br />

temps, you have to stay with the point. Il faut rester sur la tâche. Voilà, il n’y a pas de travail<br />

stratégique là dessus, il y a ce qui est rigoureux et stratégiquem<strong>en</strong>t construit, et ce<br />

qui se décide dans une certaine liberté, au mom<strong>en</strong>t même ».<br />

Ça, c’est déjà plus contradictoire, comme le disait Gérard May<strong>en</strong> tout à l’heure, dans une<br />

œuvre qui a une espèce de construction « au cordeau » <strong>en</strong> perman<strong>en</strong>ce, extrêmem<strong>en</strong>t<br />

claire, extrêmem<strong>en</strong>t rigoureuse, à travers cette liberté<br />

laissée dans l’interprétation, quelque chose qui est<br />

une richesse tout à fait intéressante. Chez la chorégraphe,<br />

le s<strong>en</strong>s ne se situe jamais <strong>en</strong> embuscade derrière<br />

le mouvem<strong>en</strong>t comme s’il était constitué de thèmes<br />

qui aurai<strong>en</strong>t été id<strong>en</strong>tifiés à l’avance comme faisant<br />

partie du projet. Il est vraim<strong>en</strong>t toujours <strong>en</strong> instance<br />

et inhér<strong>en</strong>t à la matière corporelle.<br />

Chez la chorégraphe,<br />

le s<strong>en</strong>s est vraim<strong>en</strong>t<br />

toujours <strong>en</strong> instance<br />

et inhér<strong>en</strong>t à la<br />

matière corporelle.<br />

Je continue à dérouler un peu le fil biographique. En<br />

1984, Keersmaeker et Rosas vont créer<br />

« Bartók/Aantek<strong>en</strong>ing<strong>en</strong> », qui voudrait dire « Bartók annoté », ou « des notes sur Bartók ».<br />

Elle s’essaie aussi à la mise <strong>en</strong> scène d’une trilogie de Heiner Muller, un travail qu’une<br />

grande partie de la critique va juger assez hermétique. En 1987, elle prés<strong>en</strong>te<br />

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