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Mise en page 1 - Théâtre Massalia

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L’œuvre de Anne Teresa de Keersmaker par Philippe Guisgand<br />

ce qu’elle fait appel à des structures très claires qui sont souv<strong>en</strong>t inspirées des structures<br />

musicales elles-mêmes. A cette structure vi<strong>en</strong>t s’ajouter une complexité qu’on<br />

pourrait dire parfois ésotérique, même très souv<strong>en</strong>t ésotérique. C’est à dire une<br />

complexité qu’elle rajoute, par plaisir simplem<strong>en</strong>t ou par fascination des structures<br />

complexes. Il n’y a pas forcém<strong>en</strong>t d’explication d’ailleurs, à ce fouillis de couches<br />

structurelles, plus ou moins autonomes. Elle rajoute des cercles, des spirales, des symétries,<br />

la série de Fibonacci, qui oblig<strong>en</strong>t la compagnie à inscrire au sol, on le disait tout<br />

à l’heure, ces espèces de trajets horizontaux. Dans la plupart des pièces ultérieures, ces<br />

trajectoires s’interpénètr<strong>en</strong>t de manière tellem<strong>en</strong>t précise, qu’assez vite, le spectateur<br />

perd l’architecture de l’espace. C’est à dire que le raffinem<strong>en</strong>t qui est un raffinem<strong>en</strong>t de<br />

construction, se mue alors d’un point de vue esthétique pour celui qui le regarde, <strong>en</strong> une<br />

forme de syncrétisme. Là, vous n’avez plus que deux choix : soit vous êtes complètem<strong>en</strong>t<br />

étourdis et vous essayez de repérer comm<strong>en</strong>t c’est construit, soit vous vous abandonnez<br />

à cette espèce de microcosme qui circule <strong>en</strong> tous s<strong>en</strong>s.<br />

La composition<br />

c’est aussi le<br />

contrepoint. Le<br />

contrepoint dans tous ses états. On <strong>en</strong> a vu un exemple avec l’occupation de l’espace<br />

dans la Grande Fugue, mais c’est aussi un contrepoint <strong>en</strong>tre les états et le mouvem<strong>en</strong>t.<br />

Dans un duo qui s’appelle « Rosa », par exemple, il y a un état de sérénité des deux interprètes,<br />

qui est complètem<strong>en</strong>t paradoxal. Il est installé comme ça, sur leur visage, et offre<br />

un contraste assez étonnant avec le vocabulaire et les int<strong>en</strong>sités qui sont eux, très<br />

proches de la musique de Bartók, jouée, sur le côté de la scène par un violoniste.<br />

Contrepoint aussi, <strong>en</strong>tre discours et mouvem<strong>en</strong>t dans la pièce « Quartett » : <strong>en</strong>tre la<br />

danse et le jeu théâtral. La danse est extrêmem<strong>en</strong>t sobre, extrêmem<strong>en</strong>t calme, presque<br />

détachée, et contraste avec les textes qui sont dits. C’est un duo, vous avez une danseuse<br />

de la compagnie et un acteur de la compagnie T. G. STAN, qui est la compagnie où travaille<br />

sa sœur, Jol<strong>en</strong>te de Keersmaeker. Le texte lui-même est un texte d’Heiner Muller,<br />

qui repr<strong>en</strong>d « Les liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos. Ce texte est d’une<br />

viol<strong>en</strong>ce, d’une cruauté, d’une crudité sexuelle notamm<strong>en</strong>t, presque gênantes parfois,<br />

qui est <strong>en</strong> complet contraste avec la danse et les états de corps qui sont produits sur<br />

scène. C’est ce qui fait aussi l’intérêt de cette r<strong>en</strong>contre danse/théâtre, le corps n’étant<br />

pas illustratif du discours. Comme si la danse des corps s’exonérait des turpitudes du<br />

projet libertin que véhicule le texte. Ce contrepoint là est assez fort, c’est une des<br />

illuminations, un des intérêts de cette pièce.<br />

Enfin, on r<strong>en</strong>contre aussi des contrepoints presque morphologiques, ce qui n’est pas<br />

propre à Keersmaeker, mais c’est quelque chose qu’elle utilise beaucoup, dans la qualité<br />

de danse des interprètes. Dans le duo, « For Elisabeth Corbett », qui est une danseuse<br />

qui a longtemps dansé chez William Forsythe, les unissons permett<strong>en</strong>t d’apprécier les<br />

différ<strong>en</strong>ces d’interprétations <strong>en</strong>tre les deux danseuses. On le voit sur cette photo, sur un<br />

simple grand jeté, l’une est sur ses pointes, l’autre est <strong>en</strong> espèces de baskets montantes,<br />

et vous voyez que l’amplitude du mouvem<strong>en</strong>t est totalem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>te. Mais ça n’a<br />

aucune importance. C’est comme sur la ligne de jetés qu’on voyait tout à l’heure.<br />

La composition c’est aussi le contrepoint.<br />

Je revi<strong>en</strong>s au fil biographique. L’année 1992 est une saison totalem<strong>en</strong>t exceptionnelle<br />

pour la compagnie Rosas. D’abord parce qu’elle r<strong>en</strong>tre pour trois ans <strong>en</strong> résid<strong>en</strong>ce au<br />

Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles, où elle succède à Maurice Béjart, qui était<br />

parti quelques années auparavant. Il avait été suivi par un chorégraphe américain, Mark<br />

Morris, qui s’était lui aussi littéralem<strong>en</strong>t laissé déborder par le succès des g<strong>en</strong>s comme<br />

Keersmaeker et Vandekeybus à la même époque. Il n’est donc pas resté très longtemps.<br />

C’est Keersmaeker qui r<strong>en</strong>tre à la Monnaie comme artiste invitée, <strong>en</strong> résid<strong>en</strong>ce au départ<br />

pour trois ans. En réalité, cette résid<strong>en</strong>ce va se prolonger jusqu’<strong>en</strong> juin 2007. Aujourd’hui,<br />

<strong>en</strong> réalité, c’est la première année où la compagnie a repris son autonomie. L’invitation<br />

va lui permettre de réaliser trois de ses souhaits les plus chers. Continuer d’int<strong>en</strong>sifier,<br />

avec d’énormes moy<strong>en</strong>s parce qu’à La Monnaie, il y a aussi un orchestre à demeure, ces<br />

relations danse/musique, et notamm<strong>en</strong>t avoir les moy<strong>en</strong>s de jouer avec un orchestre live<br />

pratiquem<strong>en</strong>t toutes ses pièces. Développer un répertoire. Fonder une école puisque<br />

MUDRA avait été fermée au mom<strong>en</strong>t où Béjart était parti pour Lausanne.<br />

Il faudra att<strong>en</strong>dre 1995 pour voir ouvrir P.A.R.T.S, Performing Arts Research and Training<br />

Studio, qui est l’école fondée par Keersmaeker. Les deux autres vœux, <strong>en</strong> revanche, vont<br />

être mis <strong>en</strong> chantier. La création d’un répertoire avec la reprise immédiate de<br />

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