Mise en page 1 - Théâtre Massalia
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Prélude à un Abécédaire des nouvelles écritures théâtrales par Daniel Lemahieu<br />
appelle ça des « sacs à mots ». Pour l’écriture de Les Guerriers , il est allé dans des hospices,<br />
des maisons de repos. Il a écouté les derniers des « Mohicans » de la guerre de 14-<br />
18. Il les a <strong>en</strong>registrés et <strong>en</strong>suite il a composé. Son œuvre s’est transformée <strong>en</strong> une suite<br />
de dépôts de textes sculptés, ouvragés, ciselés. Quand Koltès écrit Dans la Solitude des<br />
Champs de Coton , le texte se prés<strong>en</strong>te comme une suite de répliques monologuées<br />
ajointées, aboutées les unes aux autres.<br />
Autre exemple : Eugène Durif, Croisem<strong>en</strong>ts, Divagations : les protagonistes, à de multiples<br />
reprises, se répond<strong>en</strong>t sans se parler et se parl<strong>en</strong>t sans se répondre. Je vous propose<br />
un extrait. À l’époque du répondeur, les g<strong>en</strong>s n’arriv<strong>en</strong>t plus à se parler, donc on parle au<br />
répondeur, et voilà ce que ça donne, un homme seul proférant la bande son de la voix<br />
d’une femme.<br />
Croisem<strong>en</strong>ts, divagations de Eugène Durif<br />
L’homme sort de sa poche un bipper. Il le colle contre le téléphone, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d le bruit d’une bande qui se<br />
rembobine, puis une voix (qui pourrait être celle de la passante) <strong>en</strong>trecoupée des bouts caractéristiques du<br />
répondeur.<br />
L’HOMME. On a été coupé. Là, j’ai cru que c’était toi, j’ai décroché, mais… Il faut que je te parle, il<br />
faut qu’on se parle, cette fois, c’est différ<strong>en</strong>t, je reste ici à guetter, cette sonnerie me r<strong>en</strong>d folle, je décroche<br />
et ce n’est pas toi, att<strong>en</strong>dre, att<strong>en</strong>dre, mais tu as donc tout oublié ? ça tu l’as bi<strong>en</strong> dit, tu te souvi<strong>en</strong>s ou<br />
tu as perdu complètem<strong>en</strong>t la mémoire ? Moi aussi, je voudrais mettre un point final, mais avant il faut<br />
que l’on se parle, il faut que l’on se voie dans les yeux, je t’ai écrit des dizaines de lettres, je n’arrive pas à<br />
te les <strong>en</strong>voyer, je me dis sans cesse que tu es peut-être là caché derrière ce répondeur de merde. Si tu es là,<br />
décroche, tu m’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds ? DÉCROCHE ! C’est la dernière fois que je te le demande, tu veux que je me<br />
mette à g<strong>en</strong>oux pour te le demander <strong>en</strong>core. Il y a des bruits de balles de t<strong>en</strong>nis à toutes les f<strong>en</strong>êtres. Je ne<br />
supporte pas les dimanches, tu es là ? Tu m’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds ? Je pourrais mourir, hein, je pourrais crever, ça ne<br />
te ferait ni chaud ni froid, tu n’as plus ri<strong>en</strong> dans le v<strong>en</strong>tre, tu es l’archétype du salaud, le salaud parfait,<br />
je suis sûre que tu es là, et tu es peut-être <strong>en</strong> train de ricaner ou de sourire derrière ce répondeur.<br />
J’ai écrit, ces mots, c’est un désert, mais je ne pourrais pas le traverser, et puis j’ai pleuré toutes les larmes<br />
de mon corps. Pourquoi est-ce que tu r<strong>en</strong>ds idiote ? Je t’appelle partout, je répète ton nom pour ri<strong>en</strong>, je te<br />
cherche dans l’appartem<strong>en</strong>t, je ne cesse de te parler comme si tu étais là. Réponds !<br />
ntrusion des machines ajoutées aux machineries théâtrales. Quelqu’un parle à personne.<br />
Ça tourne. Nouvelle forme de drame.<br />
N’ayant pas eu le temps de prés<strong>en</strong>ter Jean-luc Lagarce, la navette mythique, la polyphonie,<br />
je terminerai sur une note toute personnelle.<br />
Je vais vous lire un dialogue, une stichomythie. Une forme de dialogue un peu à l’image<br />
de Combat de nègre et de chi<strong>en</strong>s de Koltès, autrem<strong>en</strong>t dit une bataille. Une partition où<br />
on s’empare du son de l’autre pour rebondir sur ce son et le retourner à l’<strong>en</strong>voyeur. Un<br />
jeu proche du t<strong>en</strong>nis ou du ping-pong. Si l’autre <strong>en</strong>gage une balle molle, vous pourrez<br />
toujours essayer, vous ne la r<strong>en</strong>verrez jamais.<br />
« Stichomytie », donc. « Sticho » qui veut dire court, et « mythie », mythe, muthos, histoire<br />
; technique permettant de raconter des histoires de manière brève, réplique après<br />
réplique.<br />
La passion n’a pas d’âge de Daniel Lemahieu.<br />
F - Pis je le sais que ça t’écœure.<br />
H - P<strong>en</strong>ses-tu que j’ai le goût d’y aller, moi ?<br />
F - Si t’as pas ton goût non plus, on ira pas.<br />
H - Cinquante ans que chus sans goût quand je te vois.<br />
F - Non mais dis-le une fois au lieu de laisser passer toujours l’eau sous les ponts parce que ce tu dis que<br />
t’es sans goût, c’est faux.<br />
H -Tu m’a pris la main quand tu m’as vu, c’est pas croyable, mais c’est tout. Tu t’es arrêtée là.<br />
F - J’ai pas eu le temps de fermer ma main sur toi, voilà, parce que tu m’as pas laissée faire jusqu’au bout,<br />
t’es parti. T’es tout froid.<br />
H - Tu te crois <strong>en</strong>core plus intellig<strong>en</strong>te que moi, hein ? Comme d’habitude, hein ?<br />
F - J’ai pas le temps d’être intellig<strong>en</strong>te avec toi, parce que ce que je devrais te dire aujourd’hui<br />
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