Mise en page 1 - Théâtre Massalia
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Ecriture et notation musicales : L’écriture et l’espace par Nicolas Frize<br />
la notion de déplacem<strong>en</strong>t des sons. Toute chose qu’on ne peut pas faire avec des instrum<strong>en</strong>tistes.<br />
Enfin, moi je l’ai beaucoup fait. J’ai demandé à des instrum<strong>en</strong>tistes de se<br />
déplacer au milieu d’un concert, de r<strong>en</strong>trer au milieu des g<strong>en</strong>s, de desc<strong>en</strong>dre dans la<br />
salle, d’<strong>en</strong>trer, de partir, ou de jouer sur le toit. N’empêche qu’effectivem<strong>en</strong>t, avec des<br />
sons <strong>en</strong>registrés et des <strong>en</strong>ceintes, ça paraît beaucoup plus évid<strong>en</strong>t. Mais ça ne donne pas<br />
du tout le même résultat. Parce que c’est pas l’interprétation qui se déplace, c’est seulem<strong>en</strong>t<br />
la source, ce qui change pas mal de choses. Lorsqu’une source se déplace, elle<br />
reste égale à elle-même. Lorsque l’interprète se déplace, l’interprétation se déplace avec<br />
lui. L’interprète ne peut pas jouer de la même façon <strong>en</strong> se déplaçant. Il déplace donc<br />
quelque chose <strong>en</strong> même temps qu’il se déplace. Donc il déplace la musique. Il est forcém<strong>en</strong>t<br />
soumis à des stimuli divers, ne serait-ce qu’à sa difficulté de se déplacer. Mais aussi<br />
à des stimuli qui sont liés à la nature du lieu, qu’il connaît ou ne connaît pas, aux référ<strong>en</strong>ces<br />
culturelles dans lesquelles il est emporté à ce mom<strong>en</strong>t là, et la musique s’<strong>en</strong><br />
modifie. Ce que ne peut pas faire un son sur support.<br />
Autant la spatialisation sur support est un espèce de mom<strong>en</strong>t un peu artificiel, un travail<br />
purem<strong>en</strong>t formel, où les sons, sans se soucier de quoi que ce soit, n’ont que faire de l’espace,<br />
mais se déplac<strong>en</strong>t à l’<strong>en</strong>droit où l’on veut parce que c’est nous qui le décidons,<br />
autant lorsqu’on demande à des interprètes de se déplacer, là, ils ont beaucoup à faire<br />
de l’espace. Parce qu’il y a un rapprochem<strong>en</strong>t, un éloignem<strong>en</strong>t par rapport à l’auditeur. Il<br />
y a des élém<strong>en</strong>ts acoustiques qui font qu’il ne s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d plus ou il s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d beaucoup. Il<br />
y a sa connaissance des lieux… Toute une série de facteurs dont un interprète pourrait<br />
mieux parler que moi.<br />
Quand je me suis remis à l’écriture, quand j’ai quitté le monde de l’électro-acoustique,<br />
je me suis remis à l’orchestre, à la voix, à l’instrum<strong>en</strong>t, aux objets sonores <strong>en</strong> direct,<br />
concrets, j’ai naturellem<strong>en</strong>t continué d’expérim<strong>en</strong>ter ces questions acoustiques, ces<br />
questions architecturales, de géographie. D’autant plus que l’électro-acoustique m’avait<br />
appris qu’il y avait des effets collatéraux militants intéressants à travailler sur l’espace :<br />
d’une part on faisait <strong>en</strong>trer la musique dans des espaces qui n’étai<strong>en</strong>t pas faits pour ça,<br />
donc on détournait des espaces, on les contraignait, on les transgressait ; ça avait un<br />
intérêt militant, même si ça n’était pas l’objectif premier ; d’autre part, ça ré-interrogeait<br />
l’usage de la musique.<br />
Pour le public, ça les mettait <strong>en</strong> situation de se dire : « Qu’est-ce que cette musique fait<br />
là ? Et pourquoi je vais dans cet <strong>en</strong>droit pour aller au concert alors que je n’ai aucune<br />
raison d’aller écouter une musique à cet <strong>en</strong>droit là ? Qu’est-ce qu’on veut me dire ?<br />
Pourquoi on m’amène là-bas ? ».<br />
Il y a eu comme ça toute une série de questionnem<strong>en</strong>ts qui se sont ajoutés à l’exercice<br />
de la musique dans ces lieux. On va se prom<strong>en</strong>er, après cette introduction générale, dans<br />
des espaces que j’ai expérim<strong>en</strong>tés, <strong>en</strong> essayant de compr<strong>en</strong>dre pourquoi j’y suis allé,<br />
quand je le sais. J’espère le plus possible.<br />
Le lieu est destinataire.<br />
J’ai imaginé trois situations. La situation où le lieu est<br />
destinataire, c’est à dire que j’ai une commande. Par<br />
exemple, un village qui fait une commande à un compositeur. Le lieu est imposé. Le village<br />
dit qu’il voudrait une musique pour le village, dans le village. Il y a un lieu destinataire.<br />
Ça m’est arrivé de nombreuses fois. Moi-même, je me suis mis dans des situations<br />
où je m’imposais des lieux, au point même qu’après 30 ans de travail, il m’est arrivé<br />
d’avoir des difficultés à écrire sans lieu. C’est à dire que je m’étais tellem<strong>en</strong>t formaté à<br />
écrire pour des espaces, que j’avais développé des principes d’écriture liés à l’espace, et<br />
que j’avais du mal à écrire des musiques qui étai<strong>en</strong>t destinées à ri<strong>en</strong>, à aucune temporalité,<br />
aucune r<strong>en</strong>contre, aucune circonstance, aucun espace, aucune commande, aucun<br />
lieu, aucune époque. Des musiques qui serai<strong>en</strong>t comme ça, susp<strong>en</strong>dues au dessus de la<br />
terre et qui att<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t de desc<strong>en</strong>dre, si un jour quelqu’un voulait bi<strong>en</strong> les faire atterrir.<br />
Je me suis posé cette question il y quelques années, parce<br />
que je me suis dit, ça c’est drôle, finalem<strong>en</strong>t, je ne sais<br />
pas le faire. J’ai écrit des pièces qui n’ont aucune raison<br />
d’être. Mais je n’<strong>en</strong> ai pas écrit beaucoup. J’ai beaucoup plus écrit des pièces qui avai<strong>en</strong>t<br />
des raisons d’être, qui d’ailleurs, sont mortes, parce qu’elles étai<strong>en</strong>t faites pour naître.<br />
Leur vie était liée à leur naissance. Donc, il y a ces lieux destinataires, avec ces approches<br />
soit thématiques, soit géographiques, soit architecturales, soit sociales.<br />
Des lieux scénographiés.<br />
Après, il y a eu des lieux scénographiés. C’est un lieu, un espace lambda, qui m’est pro-<br />
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