Mise en page 1 - Théâtre Massalia
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Du fait divers à la fiction, le cas Roberto Zucco par Jean-Pierre Ryngaert<br />
ange. La métamorphose est accomplie. Si le doute sur première était permis, comme s’il était dans l’hésitation<br />
du meurtre, dans sa possibilité, même ignorée de lui, là, il a déjà tué. Et il est au delà de l’acte et<br />
de la m<strong>en</strong>ace, au mieux, de sa propre dureté. En tant que meurtrier, il s’est accompli. C’est l’homme qui<br />
dira aux policiers qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t l’arrêter : « Je suis un tueur, mon métier est de tuer alors je tue ».<br />
Huitièmem<strong>en</strong>t, dans des effets de montage inatt<strong>en</strong>dus, des interv<strong>en</strong>tions verbales de<br />
l’écrivain et les actions physiques de Roberto se relai<strong>en</strong>t à une telle vitesse, que leurs<br />
images finiss<strong>en</strong>t par se superposer, et que, je l’ai déjà signalé à plusieurs reprises, il y a<br />
une sorte de rivalité qui devi<strong>en</strong>t palpable, <strong>en</strong>tre Roberto et l’auteur, écrivain à la hache.<br />
Ils ont <strong>en</strong> commun une mère, un certain goût pour les femmes, l’un les séduit ou les<br />
viole, l’autre pas ; l’un tue sa mère et l’autre pas, il l’installe dans une maison de retraite.<br />
Mais la question des désirs de l’écrivain finit par se poser. A chacun ses armes. Comme<br />
si l’écrivain avait eu tort de se servir d’une hache, qui sert aussi à couper les séqu<strong>en</strong>ces<br />
et que Roberto, plus tard, finira par lui <strong>en</strong>lever. Donc insistons un petit peu sur les risques<br />
de l’<strong>en</strong>quête : ces modes d’écriture un peu hétérogènes s’<strong>en</strong>chaîn<strong>en</strong>t rapidem<strong>en</strong>t,<br />
parfois au milieu d’une phrase, comme si l’auteur, Danan, travaillait effectivem<strong>en</strong>t avec<br />
brutalité, à la hache.<br />
La fable qui est d’abord traitée à la manière d’un drame ordinaire, se creuse de la prés<strong>en</strong>ce<br />
de plus <strong>en</strong> plus forte de l’Ecrivain, qui est cep<strong>en</strong>dant dans la totale incapacité d’interv<strong>en</strong>ir<br />
sur le cours des choses. En tant qu’écrivain, il ne peut que raconter, rev<strong>en</strong>ir sur<br />
les faits, parfois on a vu, de manière ambiguë, <strong>en</strong> utilisant des exemples croustillants. Et<br />
il dispose d’un nombre de collaborateurs auxiliaires : le Chœur, la Serveuse.<br />
Face à la personnalité c<strong>en</strong>trale de Roberto, la silhouette de l’Ecrivain pr<strong>en</strong>d de l’importance.<br />
Comme si la collection des av<strong>en</strong>tures du serial killer r<strong>en</strong>voyait l’auteur à ses fantasmes.<br />
Le drame fait place à des formes épiques, puis à nouveau au drame, par des séqu<strong>en</strong>ces<br />
de plus <strong>en</strong> plus courtes, qui évoqu<strong>en</strong>t le cinéma. On pourrait dire que Danan essaie de<br />
faire passer un spectre <strong>en</strong>tre le S de Succo et le Z de Zucco. Ou plutôt, il explore l’espace<br />
qui sépare l’un de l’autre, il sonde les parois et revi<strong>en</strong>t sur les traces du meurtrier.<br />
Koltès lui, fait mine de ne pas être prés<strong>en</strong>t dans l’œuvre, de mettre à distance une épure<br />
parfaitem<strong>en</strong>t construite, on l’a vu, et au déroulem<strong>en</strong>t exemplaire. Et, de faire un usage<br />
homéopathique du fait divers. Danan installe un auteur, certes fictif, au cœur du fait<br />
divers, et le fait se heurter, dans une grande proximité, à quelques figures de ce fait divers<br />
et directem<strong>en</strong>t au meurtrier.<br />
J’avancerais que ce faisant, et je le lui ai dit, il subit une certaine contamination, traitée<br />
certes avec humour et comme une sorte de rêve, mais dont il ne sort pas indemne. Le<br />
meurtrier a tué son père et sa mère. Le père de l’Ecrivain est déjà mort, et il se débarrasse<br />
sur la pointe des pieds et avec discrétion de sa mère, qu’il « abandonne » dans un<br />
lieu : une maison de retraite. Comme si c’était une condition pour emm<strong>en</strong>er la serveuse<br />
à Paris, et plus généralem<strong>en</strong>t, pour accéder librem<strong>en</strong>t aux femmes. Il ne se situe plus,<br />
comme on aurait pu le croire, <strong>en</strong> sociologue, <strong>en</strong> analyste, ou <strong>en</strong> juge d’un événem<strong>en</strong>t de<br />
société, qui a empli les colonnes des journaux p<strong>en</strong>dant quelques temps, il pr<strong>en</strong>d des risques.<br />
Il sort, il s’arme d’une hache, et de son outillage d’écrivain, pour aller voir de plus<br />
près ce que cette histoire nous fait. Puisque tel est son projet de départ. Or, au lieu d’<strong>en</strong><br />
rester à ce que cette histoire nous fait, il se confronte finalem<strong>en</strong>t à ce que cette histoire<br />
lui fait personnellem<strong>en</strong>t. Mais il n’avance pas vraim<strong>en</strong>t, ou il n’obti<strong>en</strong>t pas de réponse<br />
décisive, du moins du point de vue de l’action. Prisonnier de la fiction, il se retrouve seul<br />
à Paris dans un appartem<strong>en</strong>t désert, et <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce d’une fille qu’il avait r<strong>en</strong>contrée dans<br />
un pressing et, je cite : « Et, donc/ ri<strong>en</strong> n’aura eu lieu ».<br />
Les biographes de Koltès ont épilogué sur cette œuvre testam<strong>en</strong>taire, qui traite d’un<br />
homme <strong>en</strong> fuite, et qui sème la mort, faisant une large place cep<strong>en</strong>dant à l’histoire familiale,<br />
à celle de Zucco aussi bi<strong>en</strong> qu’à celle de la gamine ; à sa fascination pour l’individu<br />
agissant sans raison et tuant parfois comme si il ne s’<strong>en</strong> apercevait pas.<br />
Je ne jouerais pas au biographe imaginaire inv<strong>en</strong>té par Danan, pas davantage au biographe<br />
de l’écrivain réel. On peut cep<strong>en</strong>dant noter que les rapprochem<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>tre Koltès,<br />
auteur mythique et romanesque et Succo, l’ange noir, non moins romanesque n’ont pas<br />
manqué. Danan construit la contre-épreuve. Celle d’un écrivain qui est tout sauf romanesque,<br />
qui est confronté à la matière brute de l’écriture et aux <strong>en</strong>vies soudaines de<br />
s’échapper. Ce serait un écrivain qui vivrait chez sa mère, qui vomirait, par exemple au<br />
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