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Epistemologie des sciences sociales

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sémiotiques. On a souvent remarqué en effet la supériorité du langage verbal dans tout procès de<br />

signification, au point que la plupart <strong>des</strong> messages que nous échangeons (iconiques, musicaux ou mimogestuels…)<br />

sont mixtes et tout mêlés de mots : une exposition de peinture par exemple, une chorégraphie,<br />

mais aussi un reportage filmé au journal télévisé font largement appel à un cadre verbal, sans lequel le<br />

message ou le signifiant non verbal flotterait, privé de sens. « Il paraît de plus en plus difficile de<br />

concevoir un système d’images ou d’objets dont les signifiés puissent exister en dehors du langage (…) :<br />

il n’y a de sens que nommé, et le monde <strong>des</strong> signifiés n’est autre que celui du langage », tranche Roland<br />

Barthes à l’ouverture de ses Éléments de sémiologie. Cette thèse grosse de conséquences, puisqu’elle<br />

oriente la sémiologie dans une hiérarchisation franchement logocentrique de nos performances<br />

communicationnelles, peut s’étayer chez Hjelmslev sur la distinction entre deux types fondamentaux de<br />

langages, ceux qu’étudient les philologues et qui couvrent les langues naturelles, et ceux plus restreints ou<br />

spécialisés qui ne concernent qu’une classe de signification définie, ou qui visent <strong>des</strong> fins spécifiques. La<br />

supériorité <strong>des</strong> langages non restreints, ou « passe-partout » [25], est que « tout peut y être traduit » : non<br />

seulement nos langues naturelles se traduisent entre elles, mais elles sont l’interprétant universel ou la<br />

métasémiotique de tous les autres langages ou mo<strong>des</strong> d’expression, qui se trouvent ainsi ravalés à un<br />

stade logique inférieur. Faut-il déduire de ce schéma qu’un texte, par exemple, traduit ou interprète une<br />

peinture ou une chorégraphie, mais que celles-ci ne sauraient interpréter un texte ? Les créateurs et les<br />

amateurs d’art protesteraient sans doute contre cet impérialisme linguistique, qui a incontestablement<br />

favorisé l’essor de la sémiologie mais qui peut constituer aussi l’un de ses obstacles.<br />

L’œuvre de Hjelmslev et du Cercle de Copenhague, en généralisant rigoureusement Saussure, donna un<br />

premier corps à son projet sémiologique. C’est Algirdas Julien Greimas surtout qui développa en France<br />

cet héritage, dans la direction d’une sémantique structurale, puis d’une sémiotique conçue comme le<br />

métalangage unificateur <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> humaines – « il n’y a rien en dehors de la sémiotique » –, projet<br />

grandiose dont la présentation et la discussion déborderaient les limites de ce chapitre [26].<br />

Roman Jakobson et la poétique structurale<br />

Le nom de l’« ingénieux Jakobson », comme l’appelait le linguiste danois Viggo Bröndal, demeure lié à<br />

une phonologie élargie à <strong>des</strong> questions de poétique et d’anthropologie. Avec les « formalistes russes »,<br />

Jakobson s’employa à définir le poème non par ses thèmes, ni par les dispositions psychologiques et<br />

<strong>sociales</strong> de son auteur chères à l’ancienne critique, mais par sa seule forme ; il isola du même coup une «<br />

fonction poétique » qui déborde la littérature, et qu’on retrouve éparse dans les proverbes, sur les<br />

affiches ou dans la simple conversation. Avec le Cercle linguistique de Prague et Nicolaï Troubetzkoï<br />

d’autre part, Jakobson développa la phonologie, qui étudie d’une langue à l’autre comment sont<br />

sélectionnés et organisés les phonèmes de base. L’approche phonologique peut se schématiser en quatre<br />

opérations fondamentales, où il s’agit de :<br />

« <strong>des</strong>cendre » de l’articulation phonétique consciente au tableau, inconscient pour le locuteur, <strong>des</strong><br />

oppositions phonologiques pertinentes ;<br />

traiter non les termes, mais les oppositions entre les termes ou les unités ainsi dégagées ;<br />

comprendre qu’ils forment un système ou une structure ;<br />

formuler à partir de celle-ci <strong>des</strong> lois générales, soit par induction, soit par déduction tirée d’un

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