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Epistemologie des sciences sociales

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harmonie avec ses désirs et ses croyances, que ses croyances sont vraies en grande partie, qu’elles<br />

correspondent aux vôtres et ainsi de suite. C’est la ligne de conduite la plus efficace. Dans la version<br />

faible, il est recommandé d’adopter ce principe dans les cas seulement où il n’y a pas de preuves<br />

flagrantes du fait qu’elle soit inappropriée. Lorsqu’on essaie d’évaluer <strong>des</strong> théories du type de celles qui<br />

attribuent une mentalité prélogique à certains interlocuteurs (Engel, 1989), le choix entre la version forte<br />

ou faible n’est pas sans conséquence. Si on adopte la version forte du principe, on dira que l’hypothèse<br />

de la stupidité de l’interlocuteur doit être exclue dans tous les cas. Si on adopte la version faible<br />

seulement, on dira que la probabilité d’une interprétation défectueuse est seulement plus élevée que celle<br />

de la stupidité de l’interlocuteur. Enfin, il existe <strong>des</strong> différences bien connues (<strong>des</strong> spécialistes) entre la<br />

version de Quine et celle de Davidson. Quine nous demande de ne pas attribuer à notre interlocuteur <strong>des</strong><br />

énoncés illogiques. La conception de Davidson est plus exigeante. Elle nous demande de ne pas attribuer<br />

à notre interlocuteur trop de croyances irrationnelles (contradictoires, allant à l’encontre <strong>des</strong> évidences,<br />

etc.).<br />

Quelles que soient ses versions (conceptuelles ou empiriques, fortes ou faibles, limitées ou exigeantes),<br />

le principe de charité interprétative a la même fonction : imposer <strong>des</strong> contraintes à l’interprétation. Son<br />

utilité a été démontrée dans l’examen <strong>des</strong> thèses de Levy-Bruhl, ou plus exactement, de ce qu’elles sont<br />

devenues dans l’histoire <strong>des</strong> idées (Levy-Bruhl, 1949). Il permet de rejeter la théorie de la mentalité<br />

prélogique selon <strong>des</strong> principes assez clairs.<br />

Être en position de justifier théoriquement la version la plus forte, la plus exigeante du principe de<br />

charité, celle qui exclut les interprétations qui attribuent trop de croyances irrationnelles, serait un<br />

remarquable accomplissement. Cependant, même si cette justification était inattaquable (ce qu’elle n’est<br />

pas, pour le moment en tout cas), elle ne nous donnerait pas exactement ce dont nous avons besoin.<br />

Certes, le principe de charité interprétative impose <strong>des</strong> contraintes cruciales à l’interprétation, mais elles<br />

sont trop faibles. Ce principe peut servir, par exemple, à exclure les attributions de croyances les plus<br />

péjoratives, mais il ne permet pas de départager deux attributions également « rationnelles ». Comment<br />

pourrait-il, par exemple, nous aider à départager les différentes interprétations <strong>des</strong> combats de coqs à<br />

Bali ? Même la quatrième interprétation ne peut pas être dite « irrationnelle ».<br />

La naturalisation de l’interprétation<br />

Par l’expression « naturalisation de l’interprétation », je fais référence à toutes les tentatives d’exclure<br />

certaines interprétations parce qu’elles sont manifestement incompatibles avec ce que nous savons ou<br />

croyons savoir de la base physico-chimique <strong>des</strong> états mentaux, de leur histoire évolutionnaire, de leur<br />

architecture innée Jones, 1999). C’est aux <strong>sciences</strong> cognitives, lesquelles s’occupent précisément de<br />

regrouper <strong>des</strong> informations dans tous ces domaines, de nous dire quel genre de croyances ou de désirs<br />

nous pouvons effectivement avoir. Or, savoir quel genre de croyances et de désirs nous pouvons<br />

effectivement avoir impose évidemment <strong>des</strong> contraintes sur le genre de croyances ou de désirs que nous<br />

pouvons attribuer. Si nous savons que personne ne peut avoir tel ou tel genre de pensées en raison de<br />

notre architecture cognitive innée, il serait évidemment absurde de les attribuer à qui que ce soit. Ce<br />

programme est naturaliste en ce sens qu’il ne repose sur aucun principe normatif a priori. Il n’est pas<br />

nécessaire d’en dire beaucoup plus ici à son propos. Il souffre exactement du même déficit que le<br />

précédent (normatif) auquel il s’oppose apparemment. Ce programme peut nous permettre d’exclure<br />

quelques attributions aberrantes, mais comment pourrait-il servir à départager deux attributions plus ou<br />

moins raisonnables. Pour reprendre (une dernière fois !) l’exemple <strong>des</strong> combats de coqs à Bali, quelle

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