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Epistemologie des sciences sociales

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un même regard sur « la rhétorique de la science » [41]. On trouve en effet sous ce titre, ou d’autres<br />

connexes, <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> où sont mis en avant, tout à la fois, les déterminants sociaux de tout raisonnement<br />

scientifique et les contraintes logiques qui le canalisent, à charge pour le lecteur de rassembler les<br />

éléments qui, dans un texte particulier, relèvent <strong>des</strong> deux ordres de cette rhétorique, respectivement [42].<br />

Une ambivalence similaire nourrit les recherches sur l’argumentation en général. Les domaines dont les<br />

experts en la matière étudient « le discours » sont <strong>des</strong> plus variés, depuis les échanges de la vie<br />

quotidienne jusqu’aux constructions savantes ; et les logiques invoquées reflètent cette variété – logique<br />

naturelle, « logiques de champ », logique formelle, etc. [43]. Dans un cas comme dans l’autre, rhétorique<br />

ou argumentation, les questions soulevées s’apparentent indiscutablement à celles qui nous occupent ;<br />

mais la manière dont elles sont traitées ne saurait, ni d’ailleurs ne prétend rejoindre les voies pé<strong>des</strong>tres<br />

<strong>des</strong> analyses de textes évoquées plus haut, conduites à <strong>des</strong> fins tout autres. Il faut donc revenir à ces<br />

analyses pour illustrer le genre d’inventaires dont nous avons besoin.<br />

Un exemple d’inventaire systématique en archéologie<br />

Dans la catégorie <strong>des</strong> approches discrètes (p. 435), un exemple parmi d’autres est l’exercice auquel s’est<br />

livré l’auteur de ces lignes sur sa propre prose, dans un livre récent [44]. Le sujet est l’interprétation <strong>des</strong><br />

vestiges archéologiques observés au cours d’une prospection conduite il y a une vingtaine d’années en<br />

Bactriane, dans le nord-est de l’Afghanistan. A / Les données sont les observations faites sur le terrain :<br />

d’une part, les sites anciens, leurs caractéristiques (hameaux, citadelles, nécropoles, etc.), le milieu<br />

naturel où ils s’inscrivent, les tessons de poterie qu’on y ramasse en surface et qui, plus ou moins bien<br />

datés, indiquent les pério<strong>des</strong> d’occupation probables de chaque site ; d’autre part, <strong>des</strong> vestiges de canaux<br />

associés à ces sites et actifs, suppose-t-on, pendant les mêmes pério<strong>des</strong>. B / Les hypothèses ou<br />

conclusions appuyées sur ces données sont <strong>des</strong> propositions intéressant <strong>des</strong> thèmes tels que les grands<br />

programmes de développement hydro-agricole en Bactriane et leur apparition précoce dès l’âge du<br />

Bronze (III e millénaire) ; le processus d’urbanisation, depuis la conquête d’Alexandre et la fondation<br />

d’un royaume gréco-bactrien (iii e siècle av. J.-C.) jusqu’aux invasions mongoles (xiii e -xiv e siècle) ;<br />

l’émergence et le progrès <strong>des</strong> formes d’organisation sociopolitique au cours <strong>des</strong> mêmes pério<strong>des</strong> ; les<br />

rapports entre ces phénomènes et les brassages de peuples dont la Bactriane fut tout au long de son<br />

histoire le théâtre (conquêtes, migrations, colonisations), etc. ; C / Les raisonnements qui fondent ces<br />

propositions sont exposés d’abord sous la forme narrative traditionnelle, assortie de quelques tableaux<br />

comptables sans visée mathématique ou modélisatrice. Le dernier chapitre du livre propose une<br />

schématisation de la construction, ou plutôt <strong>des</strong> exemples de schématisation appliquée à quelques parties<br />

de la construction. Ces schémas sont <strong>des</strong> arborescences de propositions reliées les unes aux autres par<br />

<strong>des</strong> opérations de réécriture, selon les conventions de l’analyse logiciste (voir encadré p. 437).<br />

La pièce intéressante pour notre propos présent est l’inventaire <strong>des</strong> laissés-pour-compte de l’analyse : ce<br />

sont les parties du texte qui ne figurent pas dans la schématisation. Elles sont réparties en deux catégories<br />

: a / d’une part, <strong>des</strong> « incidentes méthodologiques » plus ou moins longues, où l’auteur rappelle les<br />

pièges auxquels toute construction de ce genre est exposée, du terrain jusqu’à la publication, et la façon<br />

dont il a tenté de les éviter ; b / d’autre part, <strong>des</strong> pages où sont passées en revue diverses hypothèses<br />

plausibles mais entre lesquelles l’auteur n’est pas en mesure de choisir, pour expliquer tel ou tel<br />

phénomène observé ou induit dont les causes ou l’origine demeurent énigmatiques. Par exemple, à propos<br />

d’un déplacement ou d’une diminution sensible <strong>des</strong> surfaces cultivées à telle ou telle époque, on procède<br />

à un « balayage du champ <strong>des</strong> possibles » où défilent toutes les explications du phénomène qui viennent à<br />

l’esprit : changements climatiques, crises politiques, divagations <strong>des</strong> fleuves, chute démographique,<br />

salinisation <strong>des</strong> terres, invasions, épidémies, etc. L’utilité de tels développements prête à discussion.

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