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Epistemologie des sciences sociales

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2 – La géographie<br />

par Jean-François Staszak<br />

Jusqu’à la fin <strong>des</strong> années 1960, les géographes français ne ressentaient pas le besoin de réfléchir sur leur<br />

discipline, tant sa légitimité et ses métho<strong>des</strong> semblaient aller de soi. Ils insistaient par ailleurs sur le<br />

caractère très concret de la géographie, et, à quelques exceptions près, manifestaient une réticence nette à<br />

traiter <strong>des</strong> questions abstraites et théoriques. L’école régionale (qu’on appelle aussi classique, ou<br />

vidalienne) dominait alors sans conteste la géographie française, et était certainement la plus reconnue et<br />

la plus influente à l’échelle internationale.<br />

La crise qu’a connue la géographie française durant les années 1970, et qui s’est achevée dans les années<br />

1980, fut l’occasion de vifs débats sur la nature et les métho<strong>des</strong> de celle-ci. Les critiques à l’encontre de<br />

la géographie classique, les tentatives de justifier les nouveaux courants qui apparaissaient, les querelles<br />

entre ces derniers ont nécessité et nourri une réflexion épistémologique très riche sur la discipline. Les<br />

articles et les ouvrages théoriques, parfois très abstraits, se sont multipliés. En fonction <strong>des</strong> questions qui<br />

agitent alors les géographes, les débats portent principalement sur l’objet de la géographie et sur la<br />

légitimité de l’emploi (nouveau) <strong>des</strong> modèles. La référence épistémologique mobilisée a souvent été<br />

kuhnienne : on se plaisait à considérer la crise de la discipline comme une « révolution scientifique »,<br />

grâce à laquelle un « nouveau paradigme » venait remplacer une « science normale » en bout de course.<br />

Révolution après révolution, paradigme après paradigme, et aussi fructueux qu’aient été les débats, ils<br />

n’ont pas débouché sur <strong>des</strong> résultats consensuels. La remise en cause du dogme de la géographie<br />

classique se traduisit de manière presque immédiate par l’éclatement de la discipline en différents<br />

courants. On peut (doit) se réjouir de la richesse que constitue cette diversité, même si, jusqu’à une<br />

période récente, les antagonismes marqués entre les tenants <strong>des</strong> différentes approches ne leur permettaient<br />

guère de confronter leurs points de vue, occupés qu’ils étaient à assurer une légitimité conçue comme<br />

exclusive. Au moins, les positions et les perspectives sont désormais explicitées et cohérentes [1].<br />

La présentation qui suit [2] ne vise évidemment pas à évaluer les courants les uns par rapport aux autres.<br />

Choisir de s’inscrire dans un courant plutôt qu’un autre est affaire de conviction, de sensibilité et<br />

d’intérêt personnels, de manière de voir la science et la discipline, ainsi que du type d’objet sur lequel on<br />

travaille.<br />

Qu’est-ce que la géographie ?<br />

On peut définir une discipline de différentes manières. On peut la situer, en termes d’institutions et de<br />

pratiques : est-ce une science humaine, en quoi se différencie-t-elle de la sociologie ou de l’histoire, estce<br />

une discipline carrefour ? On peut tenter de lui attribuer un objet : l’espace, les rapports <strong>des</strong> sociétés à<br />

leur milieu, la différenciation de la surface de la Terre… On peut mettre l’accent sur <strong>des</strong> outils ou <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> spécifiques : la carte, la typologie, l’enquête de terrain…<br />

Une définition institutionnelle de la discipline

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