Epistemologie des sciences sociales
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développent <strong>des</strong> positions épistémologiques les vouant aux marges ou à l’extérieur <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong><br />
comme telles. La caractéristique fondamentale de ce pôle est une opération de détachement <strong>des</strong><br />
significations de leur ancrage possible dans l’un ou l’autre pôle : dans leurs déterminations <strong>sociales</strong> et<br />
culturelles (pôle naturaliste) ; dans leur rattachement à la cognition et aux activités mentales <strong>des</strong> sujets<br />
(pôle intentionnaliste). Cette opération de détachement a, d’une certaine façon, été en <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong><br />
l’ombre portée du développement de la logique, de la philosophie du langage et de la linguistique. La<br />
première a élaboré sa rupture avec le psychologisme (Frege, Russel) autour d’une théorie de l’autonomie<br />
<strong>des</strong> idées, tandis que la deuxième, avec Wittgenstein (1953), aboutit à une théorie <strong>des</strong> « jeux de langage ».<br />
Les significations ne sont ainsi ni dans les choses, ni dans les têtes, mais dans un « troisième monde »<br />
(Frege, 1918-1919 ; Popper, 1972) ou dans le langage (Wittgenstein). L’idée fregéenne d’une objectivité<br />
de certains contenus mentaux n’a eu que peu d’échos en <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> aussi longtemps qu’y régna une<br />
sorte de vulgate culturaliste. Elle réapparaît fortement aujourd’hui, notamment à partir de l’étude de<br />
l’universalité <strong>des</strong> sentiments moraux (Pharo, 1997). Les positions du second Wittgenstein ont eu<br />
davantage de succès, notamment parce qu’elles fournissaient une alternative en quelque sorte<br />
phénoménologique aux mécanismes structuraux importés de la linguistique. Celle-ci est la deuxième<br />
source d’influence de ce pôle. Sa caractéristique essentielle (cf. ci-<strong>des</strong>sus, Bougnoux, 1 re partie) est<br />
d’avoir établi, dans un premier temps du moins, l’autonomie de l’étude du langage comme système, selon<br />
les oppositions entre langue et parole (Saussure), compétence et performance (Chomsky). Cette<br />
autonomie est à la fois interne et externe. D’un point de vue interne, elle invite à saisir la langue ou le<br />
langage comme un système de règles présidant à la constitution du sens et à la production <strong>des</strong> énoncés.<br />
D’un point de vue externe, elle suspend le double problème de la production sociohistorique <strong>des</strong> langues<br />
(et de leur rattachement possible au pôle naturaliste) et <strong>des</strong> fondements mentaux du langage (et de son<br />
rattachement aux pôles II ou I selon la conception de l’esprit retenue.) Cette situation de<br />
suspension/détachement est paradigmatique de la constitution de ce pôle. Elle a fournit un argument à tous<br />
ceux qui, en <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> – essentiellement en sociologie et en ethnologie –, se réclamaient d’une<br />
conception non naturaliste et non psychologique <strong>des</strong> significations et <strong>des</strong> représentations. Ceux-ci ont pu<br />
ainsi s’appuyer sur la linguistique structurale pour mettre, au cœur <strong>des</strong> cultures, l’idée d’une matrice de<br />
règles commandant les pratiques comme une grammaire commande <strong>des</strong> énoncés. La même démarche<br />
préside enfin à une troisième tradition, beaucoup plus complexe, aux inspirations philosophiques<br />
diverses, ayant cependant en commun l’idée d’une autonomie et d’une priorité, en quelque sorte<br />
ontologique, d’un sens. La conception hegélienne de l’Esprit absolu et de sa réalisation dans l’histoire, le<br />
courant herméneutique qui court de Dilthey à Gadamer, les variations psychanalytiques sur le symbolisme<br />
ont fourni <strong>des</strong> arguments à diverses approches en <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>, aussi hostiles à une naturalisation de<br />
la culture qu’à une rationalisation de l’action. On les retrouve aujourd’hui aussi bien en ethnologie, qu’en<br />
sociologie et en histoire sous l’appellation générique de postmodernisme. Associer ainsi <strong>des</strong> positions<br />
aussi éloignées, sur le plan philosophique, que le logicisme de Frege et l’herméneutique de Baudrillard<br />
peut choquer ou faire sourire. Le problème est que les divers pôles n’impliquent pas une métaphysique<br />
commune en son fond, mais en certains aspects seulement, conçus comme décisoires. Ici, il s’agit de la<br />
revendication – explicite ou implicite – d’un troisième monde, d’une autonomie – absolue ou relative –<br />
<strong>des</strong> significations. Le contenu, le fondement, le mode de connaissance de ce troisième monde peuvent être<br />
radicalement différents et opposer rationalisme logique ou structural et herméneutiques diverses. Sur le<br />
plan épistémologique, ce pôle est, comme le deuxième, traversé par une opposition entre monisme et<br />
dualisme. Les programmes se réclamant du structuralisme s’inscrivent facilement dans une conception<br />
unitaire de la science et leur modèle explicatif est de type déductif pour peu que l’on substitue la notion<br />
de règle à celle de loi. À l’inverse, les approches de type herméneutique s’inscrivent dans la rupture<br />
entre <strong>sciences</strong> de la nature et <strong>sciences</strong> de l’esprit énoncée à la fin du siècle dernier. En revanche, un trait<br />
particulier caractérise ce pôle : seules les approches relevant de l’objectivité <strong>des</strong> significations ou du