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Epistemologie des sciences sociales

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La géopolitique et la géographie critique<br />

La « nouvelle géographie » qui s’impose dans les années 1970 ne se résume pas à l’analyse spatiale<br />

caractéristique de la géographie néopositiviste, qui est très rapidement critiquée, d’abord sur le plan<br />

politique.<br />

Une prise de conscience politique<br />

La prétention objective de la géographie néopositiviste est en effet contestée dès les années 1970 aux<br />

États-Unis et en Angleterre par la géographie radicale. Ses représentants, souvent marxistes, soulignent la<br />

responsabilité du chercheur. Être « scientifique », objectif, ne pas prendre position, ne pas juger…, c’est<br />

en fait abonder dans le sens du plus puissant. La géographie néopositiviste ne conteste pas la société en<br />

place, elle prétend la décrire en <strong>des</strong> termes « neutres ». Elle joue ainsi le jeu du plus fort, et fournit même<br />

<strong>des</strong> métho<strong>des</strong> et <strong>des</strong> informations qui permettent aux plus puissants d’exercer ou d’augmenter leur<br />

pouvoir. Grâce aux travaux <strong>des</strong> géographes, grâce aussi à leurs silences, les gouvernements, les gran<strong>des</strong><br />

firmes exploitent et contrôlent. Les géographes se font les alliés <strong>des</strong> bourgeois et <strong>des</strong> colons. Pour exercer<br />

leurs responsabilités politiques au sein de leur discipline, ils doivent s’attaquer à la composante spatiale<br />

de l’exploitation, <strong>des</strong> inégalités, de l’oppression, de la ségrégation… Ils doivent montrer comment les<br />

Noirs sont enfermés dans <strong>des</strong> ghettos, comment les femmes n’ont pas accès au travail, comment les pays<br />

du Tiers Monde sont bloqués dans le sous-développement. Ils doivent dénoncer les stratégies spatiales<br />

<strong>des</strong> Blancs, <strong>des</strong> hommes, <strong>des</strong> pays riches. Il ne s’agit pas seulement de décrire le monde tel qu’il est,<br />

mais de prendre en compte le monde tel qu’il devrait être.<br />

Ce courant contestataire, animé notamment par D. Harvey et W. Bunge, ne rencontre pas d’écho immédiat<br />

en France, sans doute parce qu’au moment où il émerge aux États-Unis, les jeunes géographes français<br />

sont surtout préoccupés à découvrir et imposer l’analyse spatiale. Par ailleurs, la géographie française, à<br />

travers la personne de P. George notamment, était marquée depuis les années 1950 par le marxisme, sans<br />

que cela ait entraîné de rupture épistémologique.<br />

Les courants critiques français<br />

C’est à Y. Lacoste que la géographie française doit son tournant politique, qu’elle effectue sans référence<br />

aux géographies radicales anglophones. Y. Lacoste travaille sur le Tiers Monde dans une perspective qui<br />

n’est pas celle de ses maîtres tropicalistes. Il met l’accent sur la question du développement, et adopte<br />

une position tiers-mondiste, qui deviendra dans les années 1970 dominante parmi les géographes<br />

travaillant sur les pays pauvres. Le sous-développement est présenté comme un blocage dont les pays<br />

riches et les bourgeoisies locales sont les principaux responsables. En 1976, Y. Lacoste publie son<br />

pamphlet : La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. Il rappelle que les cartes sont d’abord <strong>des</strong><br />

cartes d’état-major, et que le géographe doit être conscient <strong>des</strong> usages qui peuvent être faits du savoir<br />

qu’il produit. Y. Lacoste, tout comme les radicaux américains, plaide pour une géographie engagée aux<br />

côtés <strong>des</strong> opprimés. Il lance en 1976 la revue Hérodote, qui durant ses premières années traite du Tiers<br />

Monde, de la décolonisation et <strong>des</strong> mouvements de « libération » en faveur <strong>des</strong>quels elle prend position.<br />

Indépendamment, un groupe de jeunes géographes (dont C. Grataloup et J. Lévy) lance en 1975 la revue<br />

Espace-Temps, d’inspiration marxiste, qui remet vivement en cause la géographie classique et vise à<br />

recentrer le débat sur « l’espace social », dans une optique pluridisciplinaire.

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