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Epistemologie des sciences sociales

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inséparables de la sémiose, fonctionnent dès la « simple » perception par laquelle nous reconnaissons et<br />

traitons les formes toujours mouvantes du monde extérieur.<br />

« La sémiologie, résuma un jour Umberto Eco, c’est l’étude de tout ce qui sert à mentir. » Formule<br />

heureuse, qui met bien l’accent sur l’autonomie de la sémiosphère et sur la coupure sémiotique : non<br />

seulement les signes ne sont pas les choses (si nous réservons la question <strong>des</strong> indices), mais ils<br />

s’articulent à distance et sans elles, ils indiquent d’assez loin le monde et leurs jeux débordent largement<br />

la seule fonction référentielle. C’est ainsi que nous décrivons <strong>des</strong> univers inexistants, parlons du futur ou<br />

dissertons sur la hiérarchie <strong>des</strong> anges… Il n’y a que dans la sémiosphère que nous pouvons jouer,<br />

échafauder <strong>des</strong> hypothèses, apprécier un film, mentir ou multiplier les mon<strong>des</strong> en marge du réel. Il semble<br />

en conclusion, comme Barthes y a insisté et comme toute l’œuvre de Peirce le confirme, que la<br />

sémiologie serve d’abord à critiquer l’illusion référentielle et les évidences immédiates de la nature : en<br />

dédoublant le monde, la sémiologie aiguise notre esprit critique, elle nous rappelle dans tout processus<br />

de communication l’épaisseur signifiante, les médiations en chaînes, la cascade <strong>des</strong> traductions et la<br />

trame inlassable <strong>des</strong> co<strong>des</strong>.<br />

Noam Chomsky et la linguistique générative<br />

L’Américain Noam Chomsky (né en 1928) a fourni la meilleure introduction à sa conception générative en<br />

rattachant celle-ci à la linguistique cartésienne et à la Grammaire de Port-Royal [53]. Descartes<br />

n’accorda que quelques lignes – mais d’une perspicacité décisive – aux problèmes du langage ;<br />

développée par les logiciens de Port-Royal, puis à l’époque romantique par l’Allemand Humboldt, cette<br />

tradition oubliée au moment où Chomsky s’en empare lui sert à réfuter vigoureusement les présupposés<br />

d’une linguistique empiriste et behavioriste, représentée par ses premiers maîtres Louis Bloomfield et<br />

Zellig Harris.<br />

Quelle différence claire tracer entre le langage humain et diverses expressions de l’animal, ou d’une<br />

machine ? Au livre V du Discours de la méthode, Descartes avait bien souligné l’essentielle créativité<br />

de notre langage, que nous développons infiniment au-delà de tout stimulus, autant que de l’expression<br />

mécanique d’états internes. Alors que le comportement animal est contextuel, la parole et la raison<br />

humaines constituent un « instrument universel qui peut servir en toutes sortes de rencontres » [54], et qui<br />

échappe dans cette mesure aux explications mécanistes ou behavioristes avancées par Skinner. Il convient<br />

donc de poser un ferme partage entre la communication animale, fonctionnelle et mue par <strong>des</strong> stimuli, et<br />

le langage humain. À l’époque romantique, Humboldt reprendra et développera l’intuition cartésienne en<br />

caractérisant la créativité ou la génétique langagière comme energeia (« Thätigkeit » de l’activité se<br />

faisant) et non pas ergon (« Werk », œuvre faite). Pour Humboldt aussi, le propre du langage est de<br />

pouvoir traiter une infinité de rencontres imprévisibles à partir de mécanismes dénombrables ou finis,<br />

que lui-même appelle la forme du langage, dans laquelle Chomsky voit l’anticipation de la « grammaire<br />

générative ». Mais si les langues montrent <strong>des</strong> propriétés universelles réservées au genre humain,<br />

Humboldt souligne également que chaque langue particulière envisage le monde depuis un point de vue<br />

radicalement singulier ou unique, et cet accent romantique tire sa linguistique hors du cadre tracé par les<br />

cartésiens. À sa suite, Chomsky postule l’existence d’une grammaire universelle, dont les opérations sont<br />

accessibles à tous les hommes, et que chaque langue spécifie de manière idiosyncrasique.<br />

Structures profon<strong>des</strong> et de surface

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