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Epistemologie des sciences sociales

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est le moyen le plus approprié d’y aller (ou le seul auquel j’ai pense) » est un fragment typique<br />

d’explication dite de « psychologie ordinaire ». Les faits sociaux ou les phénomènes sociaux ne seraient<br />

rien d’autre que <strong>des</strong> produits agrégés d’actions dont l’explication relèverait de la psychologie ordinaire.<br />

Laissons provisoirement de côté la question de savoir si ces phénomènes agrégés peuvent gagner une<br />

certaine autonomie, posséder <strong>des</strong> propriétés spécifiques, agir en retour sur les actions qui les ont<br />

engendrées, etc. Intéressons-nous à la base explicative, c’est-à-dire à la nature de l’explication<br />

psychologique « ordinaire ». Il n’est pas trop difficile de montrer que, dans sa version la plus élémentaire<br />

(c’est-à-dire la seule au fond qui mériterait d’être appelée « ordinaire »), cette explication présente<br />

d’importantes limites. Elle soulève trois problèmes au moins. Le premier est épistémologique, le second<br />

méthodologique et le troisième ontologique.<br />

1 / Le problème épistémologique. Il est relatif à la possibilité de connaître les états mentaux (croyances,<br />

désirs, etc.) d’autrui et les siens propres en général. Comment pouvons-nous avoir accès à ces états «<br />

internes », « cachés » à l’observation directe (en l’état actuel de nos connaissances). Comment pouvonsnous<br />

savoir à quoi exactement untel ou untel « croit », ce qu’il « désire », etc. ? La question peut se poser<br />

aussi bien à propos <strong>des</strong> croyances individuelles qu’à propos <strong>des</strong> croyances collectives (au sens que<br />

Margaret Gilbert, 1996, donne à ce terme). On peut dire que ce problème est celui de l’interprétation.<br />

2 / Le problème méthodologique. Il est relatif à la possibilité d’aligner les explications qui contiennent<br />

<strong>des</strong> fragments de psychologie ordinaire sur les explications naturalistes les plus communes ou, plus<br />

exactement, de les aligner sur le modèle explicatif dit « standard » ou « déductif-nomologique ». C’est<br />

autour de la question de savoir si les raisons de nos actions peuvent être ses causes que le débat se<br />

cristallise.<br />

3 / Le problème ontologique. Il est relatif à la réalité <strong>des</strong> entités auxquelles la psychologie ordinaire fait<br />

référence (pensées, croyances, désirs, états de conscience, etc.), c’est-à-dire à la possibilité de les<br />

considérer comme <strong>des</strong> entités ayant <strong>des</strong> conditions d’identité et <strong>des</strong> pouvoirs causaux.<br />

Ces problèmes sont plus ou moins interdépendants. Les problèmes ontologiques, en particulier, sont<br />

toujours évoqués dans les discussions épistémologiques et méthodologiques. Cependant, j’insisterai<br />

surtout sur les deux premiers, car leurs conséquences dans les recherches empiriques me paraissent plus<br />

évidentes.<br />

Sous-détermination et interprétation<br />

À partir de données vagues, incomplètes, souvent inadéquates, comment faisons-nous pour attribuer<br />

raisonnablement (c’est-à-dire de façon suffisamment justifiée) <strong>des</strong> pensées, <strong>des</strong> croyances, <strong>des</strong> désirs et,<br />

par conséquent, <strong>des</strong> actions à autrui et à nous-mêmes ? Ce genre de question évoque irrésistiblement la<br />

tradition « herméneutique » : l’herméneute essaie de reconstruire à partir de données fragmentaires le «<br />

sens » d’un texte. Mais il ne faut pas confondre « interprétation » et « herméneutique » (Engel, 1988).<br />

L’interprétation ne fait pas nécessairement appel à la notion très vague de « sens » ; elle ne porte pas sur<br />

<strong>des</strong> « textes » mais sur <strong>des</strong> actions. Son objectif est plus simple (on pourrait dire, plus « naïf ») : justifier<br />

l’attribution d’états inobservables à partir de données observables. Son principal problème, c’est celui<br />

de la sous-détermination de ces attributions par les données, c’est-à-dire, plus précisément, de la<br />

possibilité qu’existent plusieurs attributions incompatibles entre elles mais toutes parfaitement<br />

compatibles avec les données (Quine, 1960).

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