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Epistemologie des sciences sociales

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pas symétrique. Par ailleurs : « Le coup de poignard de Ravaillac a causé la mort d’Henri IV »<br />

n’implique pas : « Le coup de poignard de Ravaillac a causé le coup de poignard de Ravaillac. » La<br />

relation « être cause de » n’est pas réflexive, contrairement à la relation « être identique à » par exemple<br />

(je peux être identique à autre chose, tout en étant identique à moi-même).<br />

Pour beaucoup, ces trois façons de caractériser la relation causale – indépendance logique,<br />

extensionnalité, directionnalité – sont insuffisantes ou inappropriées. Ainsi, on a soutenu que la notion<br />

d’indépendance logique était inadéquate, car, pour que deux événements entretiennent une relation<br />

causale, il est nécessaire qu’ils appartiennent à une même classe : celle <strong>des</strong> événements qui peuvent<br />

interagir. Du coup, la notion de directionnalité perd de son importance, car, si les termes de la relation<br />

causale ne sont plus indépendants, il faudra parler de changement d’état d’un système plutôt que d’action<br />

unilatérale d’un agent sur un patient. C’est la raison pour laquelle Russell nous recommandait vivement<br />

d’essayer d’oublier l’idée de cause, en suggérant, pour nous rassurer, que nous ne ferions alors rien<br />

d’autre que suivre les excellentes habitu<strong>des</strong> <strong>des</strong> physiciens contemporains, dont les théories se portent de<br />

mieux en mieux depuis qu’elles ont cessé de rendre un culte aux causes, sans renoncer, cependant, au<br />

déterminisme (Russell, 1986). De toute façon, l’exigence de directionnalité avait déjà été contestée par<br />

Aristote, qui insistait sur l’importance de ce qu’il appelait « puissance passive ». La flamme ne peut<br />

brûler la main que si la main est combustible ou inflammable. La puissance passive de la main, sa<br />

combustibilité agit donc à sa façon, comme la puissance active du feu. Le dispositif prétendument causal<br />

est celui de l’action réciproque et non celui de l’action unilatérale d’un agent sur un patient (Aristote ;<br />

Waterlow, 1982). Enfin, l’idée d’extensionnalité appliquée à la causalité semble elle aussi inappropriée.<br />

Car lorsque le choc d’une pierre grise cause la <strong>des</strong>truction d’une vitrine rouge, la pierre ne cause rien en<br />

tant qu’elle est grise et la vitrine n’est pas brisée en tant qu’elle est rouge. Ce n’est donc pas sous toutes<br />

leurs <strong>des</strong>criptions que les événements entrent en relation causale (Everson, 1988).<br />

Il y a plusieurs façons différentes de réduire la portée de ces arguments dans le domaine physique. Nous<br />

pouvons admettre, par exemple, que la prétendue causalité n’est pas directionnelle lorsque nous<br />

envisageons <strong>des</strong> classes d’événements, tout en défendant l’idée que la causalité est orientée lorsque nous<br />

considérons <strong>des</strong> événements singuliers. De plus, nous pouvons dire que, si les objets n’ont pas de relation<br />

causale sous leur <strong>des</strong>cription colorée, c’est que les couleurs ne sont pas <strong>des</strong> propriétés intrinsèques <strong>des</strong><br />

objets, etc. (Kim, 1976).<br />

Cependant, si la valeur <strong>des</strong> objections anticausalistes est discutable dans le domaine physique, elles sont<br />

imparables, semble-t-il, dans le domaine de l’action humaine. Il est clair que la notion d’extensionnalité<br />

n’est pas utilisable dans le domaine de l’action, car autrement nous serions dans l’incapacité de<br />

distinguer ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas, les conséquences attendues ou inattendues de<br />

nos actes, les gestes volontaires et les coïncidences. Nous n’avons aucune difficulté à comprendre les<br />

tourments d’Œdipe, si nous abandonnons le point de vue extensionnel. Nous admettons qu’Œdipe ne<br />

souhaitait pas tuer Laïos, son père, même s’il voulait tuer, pour se venger, l’homme qui l’avait bousculé à<br />

la jonction <strong>des</strong> routes de Delphes et de Daulis, bien que son père n’était autre que cet homme, plutôt<br />

agressif. Œdipe ne tue pas Laïos « sous toutes ses <strong>des</strong>criptions », bien entendu, mais seulement en tant<br />

qu’homme agressif qui veut le pousser contre le talus. Du point de vue causal ou extensionnel, ce genre de<br />

coïncidence malheureuse n’a aucun sens, car Laïos est mort quelle que soit sa <strong>des</strong>cription (« Le père<br />

d’Œdipe est mort » équivaut à : « L’homme agressif rencontré par Œdipe à la jonction <strong>des</strong> routes de<br />

Delphes et de Daulis est mort »).<br />

La notion d’indépendance logique est aussi difficile à appliquer, car nous n’avons aucun bon moyen,

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