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Epistemologie des sciences sociales

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critères d’identification d’une explication causale ?<br />

Il y en a trois, au moins.<br />

1 / Tout d’abord, l’explication causale est l’aboutissement d’une procédure complexe. Vous observez,<br />

vous faites <strong>des</strong> hypothèses, vous confirmez vos hypothèses, vous répétez l’expérience en manipulant les<br />

facteurs qui vous semblent pertinents et, au bout du compte, vous devez parvenir à montrer que la relation<br />

n’est pas une pure coïncidence et qu’elle est justifiée par une loi authentique. C’est ainsi qu’on procède,<br />

par exemple, pour savoir si c’est bien la pression atmosphérique ou un autre facteur qui élève la hauteur<br />

de la colonne de mercure dans un baromètre.<br />

2 / Ensuite, une explication causale met en relation <strong>des</strong> termes que nous pouvons concevoir de manière<br />

indépendante. C’est bien pour cette raison que l’enquête causale commence par <strong>des</strong> hypothèses. Si nous<br />

ne pouvions pas concevoir l’indépendance <strong>des</strong> termes, l’enquête n’aurait aucun sens. Il serait absurde de<br />

construire <strong>des</strong> hypothèses autour de la question de savoir si les célibataires sont mariés parce qu’il existe<br />

une relation conceptuelle nécessaire entre les deux termes. Mais il n’est pas du tout déraisonnable de se<br />

demander si les célibataires ont tendance à être ennuyeux (même si l’intérêt de la question n’est pas<br />

évident) parce qu’il n’y a pas, semble-t-il, de relation nécessaire entre le fait d’être célibataire et celui<br />

d’être ennuyeux.<br />

3 / Enfin, les chaînes causales peuvent être indéfiniment allongées <strong>des</strong> deux côtés, puisque toute cause<br />

peut être l’effet d’une autre cause et que tout effet peut être une cause d’un autre effet.<br />

Autrement dit, ces trois critères sont ceux de l’induction, de l’indépendance logique et de l’infinité de la<br />

chaîne explicative. Les explications de la psychologie ordinaire, c’est-à-dire celles qui font <strong>des</strong> raisons<br />

(croyances et désirs) les causes de nos actions, sont-elles en mesure de satisfaire à ces critères ? À<br />

première vue, non. Prenons une explication banale telle que : « J’ai ouvert la fenêtre parce qu’il faisait<br />

chaud. » Si on vous demande : « Pourquoi avez-vous ouvert la fenêtre ? », vous ne pouvez pas répondre<br />

(du moins pas raisonnablement) : « Je crois que c’est parce qu’il faisait chaud, mais je dois confirmer<br />

l’hypothèse, en répétant l’expérience, la vérifier progressivement afin qu’au bout du compte je puisse<br />

certifier qu’elle est bien l’instance d’une loi disant : Chaque fois qu’il fait chaud, j’ouvre la fenêtre. » En<br />

fait, la connaissance que vous avez <strong>des</strong> raisons pour lesquelles vous faites telle ou telle chose est un peu<br />

comme la connaissance que vous avez de la position de votre propre corps. Pour savoir si vous croisez<br />

les jambes, vous n’avez pas besoin de les regarder. C’est une connaissance sans observation.<br />

D’autre part, entre nos raisons d’agir et nos actions, il y a une sorte de connexion interne, de lien logique<br />

ou conceptuel. Cela veut dire, très approximativement, qu’il est difficile, ou impossible, de concevoir<br />

l’idée d’une raison d’agir sans que vienne aussitôt à l’esprit celle d’une action ou d’un effort dans une<br />

certaine direction. C’est presque aussi difficile ou impossible à concevoir qu’un célibataire marié. On<br />

peut le dire autrement en faisant observer que l’action (ou l’effort) n’est pas l’effet <strong>des</strong> croyances et<br />

désirs qui forment une raison d’agir. C’est tout simplement une preuve, un critère d’identification de ces<br />

désirs et croyances. Mon acte d’ouvrir la fenêtre est peut-être le seul moyen dont je dispose pour donner<br />

un contenu à mon désir et à ma croyance. En réalité, il n’y a pas d’accès direct, parfaitement indépendant<br />

aux croyances et aux désirs : c’est toujours à travers une action ou un effort dans une certaine direction<br />

qu’ils s’expriment ou s’identifient. Mais si on ne peut pas concevoir de relation causale entre <strong>des</strong> termes<br />

qui ne sont pas indépendants, en un sens important quelconque, et si les raisons d’agir et l’action ne sont<br />

pas <strong>des</strong> choses indépendantes, il est absurde d’envisager une relation causale entre elles.

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