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Epistemologie des sciences sociales

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parvenons-nous à distinguer ce que nous faisons et ce qui nous arrive ? Ce que nous faisons doit pouvoir<br />

être mis au compte de nos croyances et de nos désirs, du début à la fin de l’action. Sinon, une partie de<br />

notre action sera quelque chose qui nous arrive. C’est d’ailleurs cette nécessité qui explique le<br />

pessimisme de Davidson. Comment savoir si l’action peut être mise au compte de l’agent du début à la fin<br />

(Davidson, 1993) ? Il n’est pas très facile de comprendre comment ce scepticisme est compatible avec<br />

l’affirmation que les raisons causent l’action. Mais tout l’intérêt de l’argument de Davidson consiste<br />

précisément à essayer de justifier cette sorte de paradoxe.<br />

En conclusion, même si l’explication ordinaire par les raisons est de type non inductif, même si elle est<br />

dépourvue de couverture légale, même si elle est intensionnelle et partiellement normative, il n’en résulte<br />

pas, d’après Davidson, qu’elle ne soit pas causale. Est-elle en mesure de satisfaire aux critères «<br />

standards » de l’explication scientifique ? À cette question, Davidson répond nettement : non. D’après<br />

lui, la psychologie ordinaire est de type normatif. Nos principes fondamentaux de rationalité s’y trouvent<br />

engagés. Elle peut être amendée mais elle ne peut pas être réfutée. Ce sont précisément <strong>des</strong> caractères qui<br />

lui interdisent d’être « scientifique ». De ces prémisses, il devrait suivre que les théories <strong>sociales</strong><br />

fondées sur la psychologie ordinaire ne sont pas scientifiques. Examinons cette thèse méthodologique.<br />

La méthode déductive-nomologique<br />

Pour les positivistes classiques ou orthodoxes, la science doit éviter toute incursion dans le domaine<br />

métaphysique. Elle doit se contenter de décrire de la façon la plus objective et de prédire de la façon la<br />

plus efficace et renoncer à la prétention absurde d’expliquer (Salmon, 1999). Au demeurant, « expliquer<br />

» est un terme très équivoque dont il serait peut-être utile de se débarrasser. Il sert à qualifier toutes<br />

sortes de choses hétéroclites : instructions à l’usage de conducteurs débutants ; informations de gui<strong>des</strong> de<br />

musées ; clarifications d’un professeur de maths ; <strong>des</strong>cription <strong>des</strong> causes d’un accident, etc. Pour certains<br />

positivistes dissidents (ou, au moins, non orthodoxes), ce point de vue classique repose sur un préjugé.<br />

D’après eux, on peut très bien proposer une bonne théorie de l’explication sans se perdre dans <strong>des</strong><br />

marais métaphysiques ou <strong>des</strong> confusions sémantiques. Cette théorie aurait l’avantage de guérir le<br />

positivisme de sa myopie « instrumentaliste ». Cette myopie le rend incapable de respecter les démarches<br />

effectives <strong>des</strong> <strong>sciences</strong>, lesquelles ne se contentent pas de décrire, ou de prédire, mais cherchent surtout à<br />

expliquer.<br />

Cette théorie de l’explication non métaphysique n’est rien d’autre qu’une mise en évidence d’une logique<br />

de l’explication à l’œuvre dans les <strong>sciences</strong> (Hempel, 1965). Quelle est cette logique ? À première vue,<br />

dans les <strong>sciences</strong> empiriques, expliquer consiste à remonter d’un fait à sa cause. Cette caractérisation<br />

manque de généralité. De plus, elle contient le terme métaphysique « cause ». En réalité, expliquer n’est<br />

pas remonter d’un fait à sa cause, c’est reconstruire un système déductif de cette forme :<br />

Prémisse-Proposition universelle appelée « loi » (parce qu’elle n’est pas une généralisation<br />

accidentelle, la différence étant la suivante (Hempel, 1972 ; Goodman, 1984). Une « loi » telle que : «<br />

Tout objet de densité spécifique supérieure à celle de l’eau coulera dans l’eau » peut servir à corroborer<br />

une proposition conditionnelle contrefactuelle telle que : « Si cet objet, dont la densité spécifique est<br />

supérieure à celle de l’eau, avait été plongé dans l’eau, il aurait coulé. » En revanche, une généralisation<br />

accidentelle telle que : « Tous les élèves de cette classe sont nuls en philo » ne peut pas servir à<br />

corroborer une proposition conditionnelle contrefactuelle telle que : « Si Descartes avait été dans cette<br />

classe, il aurait été nul en philo. »

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