10.02.2018 Views

Epistemologie des sciences sociales

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

que la relation signifiante ne nous donne pas accès à <strong>des</strong> objets, mais se contente d’indiquer ceux-ci<br />

; notre pensée ne se meut que dans la sémiose, et n’en sort jamais ; elle se meut du même coup dans<br />

une indécision ou une imprécision constitutives quant à la chose même, qu’on ne peut espérer<br />

rejoindre. On voit que la sémiotique développée par Peirce est inséparable d’une logique, d’une<br />

ontologie et d’une épistémologie qui convergent dans ce qu’on appelle son pragmatisme, une<br />

philosophie dont les maîtres mots pourraient être action et traduction : le sens d’un signe est dans<br />

l’usage que nous en faisons et dans son développement en d’autres signes, ad infinitum ;<br />

que chaque sujet se situant toujours au carrefour <strong>des</strong> interprétations, la relation pragmatique entre les<br />

sujets est elle-même imprévisible en son fond (les mon<strong>des</strong> propres de chacun demeurent<br />

inscrutables), ou tout aussi indécidable que la relation-signe. Nous en conclurons que contrairement<br />

au monde technique <strong>des</strong> relations sujet/objet, le monde pragmatique <strong>des</strong> relations sujet/sujet ne se<br />

laisse pas instrumenter, ou pour le dire autrement : nous reconnaîtrons une action<br />

communicationnelle à ceci qu’elle peut toujours échouer, errer dans <strong>des</strong> traductions imprévues, ou<br />

réussir brillamment sans qu’on puisse programmer d’avance la trajectoire <strong>des</strong> interprétations.<br />

Contre le logocentrisme, l’icône<br />

Un autre mérite de cette sémiologie généralisée et particulièrement « flottante » est de reconnaître à côté<br />

<strong>des</strong> signes verbaux, ou qu’on dira arbitraires (l’ordre <strong>des</strong> symboles selon Peirce), l’immense domaine<br />

<strong>des</strong> signes analogiques où Peirce distingue l’icône et l’indice. L’icône ne se confond ni avec l’image, ni<br />

avec une représentation strictement visuelle, « l’icône n’est qu’une image dans l’esprit. (…) Elle<br />

manifeste les traits d’un état de choses considéré comme s’il était purement imaginaire » [50]. Il faut pour<br />

comprendre cette définition la rapporter à la distinction <strong>des</strong> trois ordres logiques de réalité, la priméité<br />

ou ordre primaire (que nous dirions aussi imaginaire, qualitatif ou monadique) <strong>des</strong> impressions, comme<br />

le rêve ou la sensation individuelle par exemple ; la secondéité, où l’ordre dyadique par lequel nous<br />

rapportons telle perception à la présence de tel objet ; la tiercéité enfin, ou ordre d’une régularité dans<br />

les phénomènes débouchant sur <strong>des</strong> lois. Ces niveaux s’emboîtent comme <strong>des</strong> poupées-gigognes : le<br />

troisième (ordre symbolique <strong>des</strong> mots) suppose le deuxième (ordre <strong>des</strong> indices), qui englobe le premier<br />

(les icônes). Cette première couche sémiotique est donc présente à tous les étages, de l’icône se mêle à<br />

toutes nos représentations. Cette icônicité réside notamment dans le sentiment d’analogie immédiate, ou<br />

de correspondance, ou de plénitude sensible qui vient doubler ou valider nos performances sémiotiques –<br />

par exemple quand les mots que nous employons se nimbent d’un halo d’images –, ce qui fait écrire à<br />

Peirce, et c’est un <strong>des</strong> motifs de sa modernité, que l’icône est « la seule façon de communiquer<br />

directement une idée » [51]. Nos communications sont donc icônophiles, mais le stade icônique est par<br />

lui-même infirme sur le plan de l’information car l’icône, primaire, demeure indifférente à l’existence de<br />

son objet, dont la présence n’est reconnue selon Peirce qu’au niveau de l’indice.<br />

Aux frontières de la sémiosphère, l’indice<br />

L’ordre indiciel isolé par Peirce, et rangé par lui dans la catégorie de la secondéité, constitue<br />

certainement l’une <strong>des</strong> frontières actuelles et actives de la sémiologie. Qu’est-ce qu’un indice ? « Un<br />

fragment arraché à la chose », écrit Peirce, une représentation dont nous savons qu’elle est causée par la<br />

présence d’un objet : empreintes de pas, fumée pour le feu, symptômes météorologiques ou médicaux,<br />

vestiges ou traces, intonation verbale, relique ou lettre d’amour…, l’indice est dans chaque cas<br />

métonymique (la partie désigne le tout) et contigu par rapport à l’événement qu’il désigne. Nous<br />

résumerons son statut en disant qu’avec l’indice la coupure sémiotique n’est pas évidente, ou non

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!