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Epistemologie des sciences sociales

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comprendre les pratiques. Il ne nous est pas alors indispensable d’adhérer à ce qui est admis dans ce<br />

groupe, il nous suffit de l’accepter dans la seule mesure où cela nous est nécessaire pour comprendre ce<br />

qui est admis. Comme cette « admission » nous permet <strong>des</strong> coordinations <strong>sociales</strong>, la plupart de nos<br />

actions se déroulent à ce niveau faible d’acceptation. Nous utilisons la mécanique du réseau de croyances<br />

lié à ce qui est admis, mais notre raison pour le faire peut se réduire à la nécessité de profiter <strong>des</strong><br />

coordinations <strong>sociales</strong>. C’est donc seulement un observateur extérieur qui pourra reconstituer ce réseau<br />

de croyances comme « raisons », en les reliant aux finalités <strong>sociales</strong> qui sont présupposées plutôt<br />

qu’explicites. Si l’acteur voulait se poser cette question, il serait au contraire amené à remettre en cause<br />

ses acceptations puisqu’alors l’enjeu serait pour lui de trouver <strong>des</strong> raisons normatives auxquelles il se<br />

doive d’adhérer. L’observateur extérieur n’a pas ce problème, il est dispensé d’adhésion et même<br />

d’acceptation, et c’est pourquoi il peut traduire les croyances et les acceptations en termes de raisons. La<br />

notion de « bonnes raisons » chez Boudon semble recouvrir l’attribution à Facteur, par l’observateur, <strong>des</strong><br />

raisons par lui reconstruites, en supposant non pas que l’acteur y adhère comme <strong>des</strong> raisons réfléchies (ce<br />

qui supposerait une remise en cause) mais qu’il a avec elles un rapport d’acceptation implicite et de mise<br />

en usage, ce qui, du point de vue de l’observateur qui, ayant soupesé la validité <strong>des</strong> raisons, n’a pu éviter<br />

de se poser la question de l’adhésion, revient à donner à ces croyances de l’acteur la force de raisons.<br />

Le second problème que soulève la problématique de Gilbert tient à l’idée du sujet plural comme « pool<br />

» de volontés. Le pas au-delà de l’individualisme méthodologique ne semble pas suffisant. On ne voit pas<br />

bien comment cette analyse essentiellement cognitive peut rendre compte de l’identification au collectif et<br />

<strong>des</strong> relations de pouvoir à l’intérieur d’une organisation. Un salarié se sent appartenir à une entreprise<br />

sans que pour autant il pense avoir mis sa volonté dans un « pool commun » de volontés. Coleman est ici<br />

plus proche de la réalité que Gilbert. Le salarié a plutôt abandonné le contrôle de certaines de ses<br />

volontés à un autre pouvoir. Mais Coleman ne rend compte ni du sentiment d’appartenance du salarié, qui<br />

est fait de son identification à la puissance d’activité de l’entreprise, ni surtout de la frustration du salarié<br />

d’avoir eu à abandonner ce contrôle. Alors même qu’il s’identifie à son entreprise, le travailleur peut<br />

trouver particulièrement pénible et frustrant de ne pas décider de ce qu’il doit produire ni même <strong>des</strong><br />

métho<strong>des</strong> et <strong>des</strong> gestes qu’il doit mettre en œuvre, bref de ne justement pas pouvoir participer par sa<br />

volonté au « pool » commun.<br />

Le programme relationnel et le retour du système aux<br />

acteurs<br />

Il semble donc falloir enrichir nos conceptions de l’action et de la cognition, et ne pas réduire la<br />

cognition sociale à la connaissance de buts d’actions communs ou non. Il ne suffit pas d’introduire <strong>des</strong><br />

représentations collectives, et de reconstruire les comportements collectifs à partir <strong>des</strong> agents rationnels<br />

(même en limitant leur rationalité) et de ces représentations. Par rapport à la querelle du holisme et de<br />

l’individualisme, de la détermination <strong>des</strong> activités par la société et de leur détermination par les agents<br />

individuels, on observe un double mouvement. D’une part il faut tenir compte de la manière dont les<br />

activités <strong>des</strong> acteurs sociaux sont imprégnées dans leur identification même et donc dans leur production<br />

par un environnement relationnel social. Le social n’est pas ajouté aux acteurs individuels, mais leurs<br />

actions et intentions sont relationnelles, toujours situées explicitement ou implicitement par rapport à un<br />

réseau de relations <strong>sociales</strong>. Inversement, le social n’est pas un système tout fait qui détermine les<br />

activités <strong>des</strong> acteurs, ceux-ci peuvent en détourner les relations selon leurs intérêts et jouer de la pluralité<br />

de ces relations.

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