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Epistemologie des sciences sociales

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Autant de géographes, presque autant de définitions. Il est tentant de répondre par une boutade : « La<br />

géographie, c’est ce que font les géographes. » La réponse est plus sérieuse qu’il n’y paraît. Une<br />

discipline relève après tout d’un classement, d’une typologie pour une part contingente, au sens où son<br />

existence comme ses limites résultent d’une histoire institutionnelle, d’une histoire <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> et <strong>des</strong><br />

idées qui figent dans le présent <strong>des</strong> cloisonnements dont la logique, si elle a existé, peut être tout à fait<br />

dépassée. Pour dire les choses autrement : l’existence de la géographie, en tant que champ du savoir, ne<br />

procède pas nécessairement d’une logique transcendante liée à la nature de l’Homme, à la lumière de la<br />

Raison ou à l’état du monde. C’est le résultat d’une histoire, qui aurait pu déboucher sur <strong>des</strong> divisions<br />

entre disciplines très différentes. La meilleure preuve en est que la géographie a été inventée à un moment<br />

donné. En France, la discipline, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, est née à la fin du xix e siècle (1891 :<br />

lancement <strong>des</strong> Annales de géographie). On a d’ailleurs pu mettre en évidence l’importance du contexte<br />

politique dans l’émergence de la discipline, notamment la défaite de 1871 et la volonté de se démarquer<br />

de la géographie allemande, l’expansion coloniale…<br />

Ceci signifie que pour réfléchir sur la nature de la géographie, il faut s’intéresser à son histoire. En<br />

Europe, celle-ci commence au vi e siècle avant Jésus-Christ, avec les textes d’Hérodote et d’Hippocrate.<br />

Une tradition se constitue avec les travaux de Strabon, de Ptolémée…, qui est ensuite déclinée au Moyen<br />

Âge. Les gran<strong>des</strong> explorations correspondent à une mutation majeure du savoir géographique. De<br />

nouvelles perspectives s’ouvrent avec les Lumières et la démarche encyclopédique, avec la<br />

colonisation… Le plus intéressant n’est pas dans les fluctuations <strong>des</strong> connaissances ou <strong>des</strong> métho<strong>des</strong><br />

géographiques. Ce qui rend l’histoire de la géographie difficile à écrire, c’est que le terme même de<br />

géographie recouvre, selon les époques, <strong>des</strong> discours très différents, dont les logiques s’expliquent par le<br />

contexte idéologique et les besoins de la société. À titre d’exemple, la géographie du xix e siècle, telle<br />

qu’elle se pratique au sein <strong>des</strong> Sociétés de géographie, répond à la volonté d’explorer <strong>des</strong> contrées<br />

encore mystérieuses, et poursuit une fin encyclopédique d’accumulation du savoir caractéristique du<br />

positivisme. En même temps, elle est liée au milieu du commerce international et à l’armée, qui ont<br />

besoin <strong>des</strong> informations qu’elle produit. Ce type de discours tourne court à la fin du siècle, avec la fin<br />

<strong>des</strong> gran<strong>des</strong> explorations et l’émergence <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>. Un nouveau discours géographique se<br />

constitue. Comme il est à l’origine de la géographie actuelle, c’est sur lui que l’on mettra ici<br />

essentiellement l’accent, sans méconnaître l’importance <strong>des</strong> époques précédentes ni supposer qu’il est<br />

radicalement nouveau.<br />

La géographie, une science humaine de l’espace<br />

Circonscrire la géographie par les aléas de l’histoire <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> reste insuffisant, pour deux raisons.<br />

Premièrement, les géographes, mais aussi les épistémologues, n’ont pas manqué d’essayer de justifier les<br />

divisions disciplinaires, et il faut rendre compte de ces discours de justification. Deuxièmement, la<br />

géographie présente de fait une certaine cohérence.<br />

L’objet de la géographie a été défini de diverses manières selon les époques. Un certain accord se met en<br />

place à partir <strong>des</strong> années 1970 pour définir la discipline comme la science de l’espace humanisé, de<br />

l’espace <strong>des</strong> hommes.<br />

La géographie se range ainsi clairement parmi les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> ou humaines. Un espace qui n’existe<br />

pas pour les hommes, qui n’est par eux ni occupé, ni approprié, ni imaginé n’intéresse pas le géographe.<br />

Il l’abandonne volontiers aux <strong>sciences</strong> de la Terre, ou à ce qu’il appelle <strong>des</strong> « disciplines connexes »<br />

(météorologie, géologie, etc.). À la vérité, ceci n’exclut aucun espace en tant que tel : tout espace que la

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