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Epistemologie des sciences sociales

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compte <strong>des</strong> particularités <strong>des</strong> langues naturelles, il est devenu très difficile de comparer deux théories<br />

linguistiques concurrentes, parce que, quand ce qui est simplification dans l’une est complication relative<br />

dans l’autre, la réciproque est généralement aussi vraie. De plus, il n’est pas évident qu’entre syntaxe,<br />

sémantique et pragmatique on puisse définir <strong>des</strong> barrières bien nettes.<br />

Il faut donc en venir à étudier les influences de la situation pragmatique de communication, et celle <strong>des</strong><br />

pratiques <strong>sociales</strong> sur la sémantique. On pourrait alors, finalement, analyser la communication comme un<br />

échange où locuteur et interlocuteur minimisent leurs efforts cognitifs tout en maximisant les possibilités<br />

pratiques offertes à chacun par l’interprétation <strong>des</strong> énoncés. Sperber et Wilson ont ainsi soutenu que toute<br />

communication, dans la mesure où elle ne se réduit pas à un décodage de symboles mais peut donner lieu<br />

à plusieurs interprétations, est guidée par le principe de pertinence. Il consiste en ce que nous minimisons<br />

notre effort cognitif d’interprétation, et que pour tout effort supplémentaire nous cherchons à maximiser le<br />

nombre d’inférences que cet effort nous rend accessibles. Nous utiliserions ce principe et pour interpréter<br />

les énoncés d’autrui et pour produire <strong>des</strong> énoncés compréhensibles par autrui. Il faudrait ensuite étudier<br />

les interactions ou compétitions entre différentes formes de communication au niveau collectif, toujours<br />

en supposant que subsistent à long terme celles qui permettent la survie <strong>des</strong> groupes qui les utilisent.<br />

Cette dernière partie du programme est pour l’instant peu explorée. Sperber a simplement esquissé une<br />

théorie de l’épidémiologie <strong>des</strong> représentations. Certaines représentations seraient plus facilement<br />

traitées, mémorisées et diffusées que d’autres, si bien qu’elles se propageraient plus facilement, ou<br />

encore constitueraient <strong>des</strong> attracteurs pour nos opérations cognitives.<br />

Cette extension du programme pourrait d’ailleurs bien se retourner contre l’un <strong>des</strong> présupposés du<br />

programme « économiste », celui de l’individu comme entité de base. Car les représentations ont une<br />

existence infra-individuelle (ce sont, par exemple, <strong>des</strong> activations dans nos cerveaux, <strong>des</strong> signes sur le<br />

papier, etc.). Et certaines représentations pourraient mobiliser une part de nos traitements cognitifs au<br />

détriment d’autres activités. Tant que cette redistribution ne mettrait pas en péril l’existence et la<br />

reproduction <strong>des</strong> individus, qui ne sont plus ici considérés que comme les véhicules <strong>des</strong> représentations,<br />

les représentations conserveraient leur pouvoir de diffusion et de contagion, alors même qu’elles<br />

pourraient ne pas correspondre aux buts initiaux <strong>des</strong> individus (les représentations se comporteraient<br />

donc comme <strong>des</strong> virus).<br />

On voit déjà sur cet exemple qu’une certaine dissociation entre cognition et action peut se faire jour.<br />

L’action est en principe celle d’un acteur, et l’acteur de base est un individu, ce n’est pas un mouvement<br />

ou une parole isolée. L’analyse de la cognition fait cependant porter notre attention sur <strong>des</strong> mécanismes<br />

infra-individuels, si bien d’ailleurs que la constitution d’un sujet de l’action devient un problème à<br />

résoudre plus qu’une donnée de base. Cette tendance au divorce entre cognition et action n’est pas<br />

récente. La linguistique chomskienne analyse un type de cognition, celui qui consiste à manipuler <strong>des</strong><br />

règles et <strong>des</strong> transformations, ce qu’on pourrait appeler la cognition productive. Elle n’analyse pas <strong>des</strong><br />

actions. La langue est étudiée sans se référer aux intentions actionnelles <strong>des</strong> agents. Avant Chomsky,<br />

Saussure étudiait le système <strong>des</strong> oppositions entre signifiants. Jakobson ou Hjemslev étudiaient le<br />

système <strong>des</strong> oppositions et <strong>des</strong> relations entre signifiants et entre signifiés. Tous étudiaient la langue<br />

indépendamment <strong>des</strong> actions en lesquelles consistent pourtant les interactions linguistiques effectives. La<br />

sémiotique de Greimas étudie bien les actants, mais elle ne se situe pas dans le cadre du programme «<br />

économiste », puisqu’elle exige de passer de l’acteur à l’actant, qui est un rôle linguistique dans un<br />

système narratif. Cependant il est aussi possible d’intégrer l’étude de l’action à celle de la cognition, en<br />

étudiant les mouvements (y compris de phonation) qui ne sont pas simplement <strong>des</strong> prolongements de nos<br />

représentations, mais qui nous permettent aussi de donner sens à ces représentations et de nous donner les

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