Epistemologie des sciences sociales
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<strong>des</strong> sociétés archaïques ont modifié non seulement le projet, mais le regard initial : terrains ambigus déjà<br />
livrés aux effets de la modernité [30], territoires déjà visités, brisant le mythe du premier regard en<br />
remettant en question sa lecture et ses résultats, domaines nouveaux découpés dans la familiarité de nos<br />
sociétés développées et institués en scènes d’étrangeté, comme le métro ou les laboratoires de<br />
recherche [31]. Ces divers mouvements brisent, d’une certaine façon, l’illusion de restitution et de pureté<br />
de l’objet et déportent le regard vers l’observateur, favorisant aussi bien une sorte de narcissisme<br />
<strong>des</strong>criptif ou ironique qu’un glissement vers <strong>des</strong> modèles herméneutiques. Le retour sur soi ainsi opéré se<br />
marque dans l’ethnologie contemporaine par le surgissement de la thématique de l’écriture et du<br />
texte [32], opérant un déplacement de l’intérêt épistémique de l’objet vers le sujet et une redécouverte de<br />
la métaphore centrale de l’herméneutique.<br />
Subsumption sous un topos<br />
Faire de l’école une instance de « reproduction sociale », rechercher « la structure informelle » d’une<br />
organisation, construire une expérience de « diffusion sociale » d’une rumeur, postuler qu’une prestation<br />
joue le rôle d’un « contre-don », se demander si le mode de régulation d’une institution relève de la « cité<br />
marchande » ou de la « cité domestique », etc. constituent autant de décisions de connaissance inscrivant<br />
le phénomène étudié dans un topos, c’est-à-dire dans un lieu reconnu, espace de travail disciplinaire<br />
identifiable à ses concepts clés, à ses références tutélaires, à ses analyses paradigmatiques.<br />
L’une <strong>des</strong> caractéristiques centrales, bien que différentiellement modulée, <strong>des</strong> disciplines que nous<br />
étudions, est que cet espace a fondamentalement deux niveaux : il comporte d’abord <strong>des</strong> termes<br />
<strong>des</strong>criptifs, où l’assignation met en œuvre un vocabulaire ordinaire, relevant de catégorisations socioadministratives<br />
globales ou de significations <strong>sociales</strong> communes. Vouloir travailler sur le devenir <strong>des</strong><br />
enfants de couples séparés, la nuptialité ou les structures de parenté d’une population donnée, les effets<br />
de la musique sur les pulsions agressives, est aisément compréhensible d’un auditeur ordinaire. Des<br />
termes plus spécialisés comme pulsions inconscientes, organisation en réseau, autorité, déviance,<br />
échanges, rituels peuvent relever également de ce niveau, tant il se définit par une sorte d’aller-retour<br />
incessant entre langage ordinaire et terminologie savante. Bien que la frontière soit particulièrement floue<br />
et que l’usage fasse aisément passer la même dénomination d’un côté à l’autre, on peut néanmoins<br />
distinguer de ces termes <strong>des</strong>criptifs <strong>des</strong> termes que l’on peut qualifier d’analytiques en ce qu’ils sont<br />
porteurs d’un point de vue sur l’objet : comportement, habitus, interaction, lignage, transition<br />
démographique, rôle, statut, personnalité culturelle de base, rhétorique… La liste peut être poursuivie à<br />
l’envi. Ce qui importe n’est pas ici l’inventaire, mais le principe. Chacun de ces termes renvoie ou est<br />
susceptible de renvoyer à un concept, et s’inscrit donc dans une armature logique. L’introduire pour<br />
thématiser un objet équivaut à une assignation à son espace de pertinence.<br />
Mais, selon la discipline, selon les domaines, selon les conjonctures, le statut <strong>des</strong> termes analytiques et<br />
de l’espace de pertinence qui leur est associé est différent :<br />
— Certains termes sont construits à l’image <strong>des</strong> concepts <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> de la nature ; ils expriment une<br />
relation fixe entre grandeurs ou, quand il ne s’agit pas de taux ou d’indices, un ordre de phénomènes<br />
clairement circonscrit : les taux dont use le démographe pour décrire et comparer <strong>des</strong> populations sont du<br />
premier type, <strong>des</strong> termes tels que lignage, avunculat, rituels de passage, du second ; ces termes font partie<br />
du patrimoine et du lexique disciplinaires. Avec le temps ils s’affinent ; certains tombent en désuétude,<br />
d’autres, dont il n’est pas évident qu’ils soient très nombreux, se créent. Leur usage, normalement, n’est<br />
pas problématique. Faire l’inventaire historique de ces termes pour chaque discipline, serait riche