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Epistemologie des sciences sociales

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les lieux fréquentés, mais les relations <strong>sociales</strong> qui règlent ces fréquentations, et que l’espace vécu y<br />

ajoutait les investissements psychologiques <strong>des</strong> hommes sur <strong>des</strong> lieux privilégiés. Une région (mettons<br />

une vallée) peut être évidente pour le cartographe alors que ses habitants ne la reconnaissent pas (ils se<br />

sentent liés aux montagnards de l’autre côté du col plus qu’à ceux de la plaine). Staszak (1997) enfin note<br />

le lien de cette problématique avec l’ethnométhodologie, les interprétations perceptives de l’espace par<br />

les acteurs façonnant précisément la réalité géographique, non seulement par les déplacements et les<br />

habitations, mais par <strong>des</strong> constructions qui ont pour fonction d’être lisibles et de réactiver cette<br />

réciprocité entre cognition et action.<br />

Cependant tous ces travaux proposent plus <strong>des</strong> hypothèses générales (appuyées sur <strong>des</strong> observations<br />

précises de psychologie) qu’ils n’expliquent le façonnement <strong>des</strong> paysages humains à partir <strong>des</strong><br />

contraintes perceptives. Le lien entre perception et transformation du paysage est moins facile à<br />

déterminer que le lien entre perception et motricité, plus exactement entre perception et déplacements.<br />

Ainsi, dans sa thèse sur l’Adrar, Anne-Marie Frérot (Perception de l’espace en Adrar de Mauritanie,<br />

1993, thèse Aix) montre que les noma<strong>des</strong> de Mauritanie se guident sur les différences de couleurs <strong>des</strong><br />

sables, utilisent comme formes de référence pour identifier rochers ou dunes leur propre corps et ceux<br />

<strong>des</strong> chameaux et moutons, se centrent sur les puits et les oueds, mais surtout semblent disposer d’un<br />

système d’orientation particulier. On sait que les humains retrouvent leur chemin soit en suivant une liste<br />

de repères successifs, soit en ayant une carte mentale qui situe certains points dans un espace orienté.<br />

Mais l’orientation est supposée définie, comme dans nos cartes, par rapport à une direction fixe<br />

indépendante de l’agent. Or, le point de référence pour ces mauritaniens est leur propre position, mais<br />

leur perception n’est pas simplement égocentrée, puisque les rotations <strong>des</strong> axes de référence en fonction<br />

de la position de l’ego respectent les rotations nécessaires par rapport à un système exocentré. Il est en<br />

effet impératif pour un nomade de toujours pouvoir faire pivoter sa carte mentale de manière à ce que<br />

l’axe de référence soit sa propre direction, sans qu’il perde le contact avec <strong>des</strong> repères fixes (p. 478-<br />

479).<br />

Mais plus que d’applications de l’un <strong>des</strong> deux programmes ou encore du questionnement de<br />

l’ethnométhodologie, il s’agit là de recherches qui adoptent la perspective relationnelle, entre acteurs<br />

sociaux, entre actions et cognitions, à partir <strong>des</strong> dimensions propres à chaque discipline, l’espace pour la<br />

géographie, les temporalités pour l’histoire.<br />

Histoire, agences, et cas<br />

Que peut alors apporter à l’historien la perspective de l’articulation entre cognition et action ? S’agit-il<br />

simplement de mettre en « histoire », comme on dirait « mettre en musique », les outils d’analyse que<br />

peuvent donner d’un côté la psychologie ou la linguistique cognitive, de l’autre une sociologie de<br />

l’action, qu’elle soit de méthodologie individualiste ou inspirée par un retour du système aux acteurs ? On<br />

peut espérer davantage. Cet apport peut se juger d’abord en se plaçant dans les débats entre les<br />

programmes de recherches <strong>des</strong> historiens, ensuite en s’interrogeant sur l’épistémologie de l’histoire, enfin<br />

en se demandant quelles convergences peuvent se produire entre les tentatives de modélisation cognitive<br />

<strong>des</strong> raisonnements contextuels, <strong>des</strong> raisonnements par cas et par analogies, et les pratiques inférentielles<br />

<strong>des</strong> historiens.<br />

Débats, acteurs et temporalités<br />

Après l’histoire événementielle, l’histoire quantitative qui empruntait <strong>des</strong> outils à l’économie et à la

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