10.02.2018 Views

Epistemologie des sciences sociales

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

1 – Les <strong>sciences</strong> historiques<br />

par Jacques Revel<br />

« – Veux-tu que nous essayions de composer une histoire ?<br />

– Je ne demande pas mieux ! Mais laquelle ?<br />

– Effectivement, laquelle ? »<br />

Flaubert, Bouvard et Pécuchet, chap. IV.<br />

Histoire et <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> ?<br />

Un chapitre consacré aux <strong>sciences</strong> historiques a-t-il sa place dans un ouvrage consacré à l’épistémologie<br />

<strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> ? La réponse ne va pas de soi, et pour deux raisons au moins. La première est qu’il<br />

n’est pas assuré que l’histoire doive toujours être considérée, et par tous, comme une science sociale.<br />

Outre que le problème n’a véritablement commencé d’être posé qu’assez récemment, il y a un siècle<br />

environ, il n’a pas reçu une réponse univoque et, selon les expériences et les configurations particulières<br />

(nationales, pour l’essentiel), le rapport entre l’histoire et les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> a pu être formulé de<br />

façons très diverses. Si répétitive que puisse paraître l’énorme littérature qui lui a été consacrée, le débat<br />

qu’il a suscité a été compliqué et mouvant et les termes n’en ont jamais été stabilisés. Débat<br />

épistémologique, débat méthodologique sans nul doute, mais dont on ne saurait oublier que l’un et l’autre<br />

mettent à chaque fois en cause <strong>des</strong> rapports de force et <strong>des</strong> stratégies d’affirmation <strong>des</strong> disciplines, d’une<br />

part, et de l’autre les représentations <strong>sociales</strong> qu’elles nourrissent, qu’elles enregistrent et qu’elles<br />

répercutent tout à la fois. De cette confrontation, ce n’est pas ici le lieu de rappeler l’histoire. Rappelons<br />

qu’elle a débuté à la fin du xix e siècle, au moment où certaines <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> commençaient à être<br />

reconnues comme <strong>des</strong> disciplines autonomes et à trouver un début d’institutionnalisation universitaire :<br />

ainsi dans les États-Unis du Gilded Age ou dans la France de la III e République, où les <strong>sciences</strong><br />

nouvelles incarnaient – comme l’histoire – l’exigence d’objectivité, de méthode et de connaissance<br />

positive qu’exprimaient les idéologies contemporaines du progrès. Le monde allemand bénéficiait en la<br />

matière d’une antériorité certaine, et l’Université humboldtienne a souvent servi de modèle aux autres<br />

pays ; elle présentait par ailleurs un agencement très différent puisque les <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> y avaient été<br />

accueillies au sein d’un système culturel construit autour de la philosophie et que leur spécialisation<br />

paraît y menacer, autour de 1900, l’unité de Bildung (Ringer, 1992).<br />

Dans tous les cas, ces disciplines étaient jeunes par rapport à l’histoire, discipline ancienne et qui<br />

bénéficiait d’une légitimité particulière au terme d’un siècle où elle avait joué un rôle central dans les<br />

constructions nationales. C’est alors que le problème du rapport <strong>des</strong> premières à la seconde a commencé<br />

d’être posé comme tel. Il a reçu, et il n’a pas cessé depuis, de recevoir <strong>des</strong> réponses de signe et de<br />

contenu fort différents. Des fins de non-recevoir, comme celle qu’a formulée très tôt le philosophe et<br />

historien italien Benedetto Croce qui, dès son premier mémoire sur « L’histoire ramenée au concept<br />

général de l’Art » (1893), définissait la connaissance historique comme relevant exclusivement d’une

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!