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Epistemologie des sciences sociales

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est sans doute excessive mais elle met en relief un constat d’évidence factuelle qui sert souvent à fonder<br />

un empirisme ou un positivisme qui tiennent une place importante dans les convictions de la profession.<br />

Les historiens rédigent <strong>des</strong> notes en bas de page<br />

De l’exigence érudite et critique à laquelle les pratiques historiennes sont tenues de se conformer,<br />

les textes que produisent les historiens portent <strong>des</strong> marques visibles, parfois ostentatoires. Ils citent<br />

longuement – et dans certains cas exhaustivement – leurs sources et leurs références ; ils signalent<br />

les points qui font l’objet d’incertitu<strong>des</strong> ou de débats ; ils se protègent derrière <strong>des</strong> bibliographies et<br />

<strong>des</strong> annexes pléthoriques ; bref, ils ne répugnent pas à laisser paraître les traces du travail de<br />

recherche, de collation et d’élaboration qui a préparé leur exposé et informé leurs conclusions. Ces<br />

conventions, qui sont de règles dans le métier, paraissent souvent ésotériques et parfois inutiles aux<br />

spécialistes <strong>des</strong> autres <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>. L’apparat critique et, note plus généralement la note en bas<br />

de page tiennent ici un rôle central : on y trouve à la fois les données empiriques sur lesquelles<br />

repose une histoire et le protocole de traitement dont elles ont fait l’objet aux fins d’argumentation<br />

(Grafton, 1993). De fait, la fonction de la note est multiple. Elle est, en premier lieu, <strong>des</strong>tinée à<br />

garantir la conformité d’un travail aux règles communément admises et elle n’est pas séparable de<br />

l’autoreprésentation de la profession. Elle peut, en second lieu, être <strong>des</strong>tinée à produire <strong>des</strong> effets de<br />

réel, de ce réel bien particulier qu’ambitionne de produire un discours de connaissance sur le passé<br />

(elle peut donc à ce titre relever de stratégies d’imposition, voire d’intimidation, alors même qu’à<br />

l’origine elle traduit la volonté explicite de substituer une autorité savante, articulée, à l’autorité de<br />

la tradition ou <strong>des</strong> pouvoirs). Mais le plus important tient peut-être à ceci : les notes infrapaginales<br />

sont <strong>des</strong>tinées à rendre vérifiables et répétables les opérations de production et de transformation<br />

qu’un historien a effectué sur le matériel documentaire qu’il s’est constitué. Cette possibilité peut<br />

bien demeurer, le plus souvent, virtuelle (elle est d’ailleurs mise en œuvre de façon très différenciée<br />

selon les secteurs de la recherche, selon la densité et la technicité <strong>des</strong> sources, selon les<br />

<strong>des</strong>tinataires du texte). Elle reste fondamentale parce qu’elle incarne le rapport fondateur de<br />

distance cognitive que l’historien revendique par rapport aux témoignages du passé.<br />

Alors que s’élaborait la première version de la Cambridge Modern History, Lord Acton déplorait en<br />

1896 que sa génération ne fût « pas encore en mesure de donner une interprétation définitive ». Mais ce<br />

n’était là selon lui qu’une situation provisoire « car aujourd’hui, toutes les données factuelles sont à<br />

portée de main et tous les problèmes sont désormais susceptibles de trouver une solution ». Une telle<br />

certitude nous fait sourire et E. H. Carr, qui la rapporte, rappelle que le responsable de la seconde<br />

édition, entièrement refondue, de l’ouvrage estimait à l’inverse, soixante ans plus tard, que « la recherche<br />

nous apparaît sans fin » et qu’« il n’existe pas d’histoire objective » (Carr, 1961, chap. 1). Acton écrivait<br />

au terme d’un siècle qui avait révéré les faits et souvent pratiqué l’amalgame entre sources et faits. Ce<br />

que l’histoire positive ambitionnait de faire, n’était-ce pas, après tout, de nettoyer les faits que nous font<br />

connaître les documents de leur gangue d’impureté ou d’approximation, d’opérer une sélection entre eux<br />

selon la résistance qu’ils ont opposé à l’analyse critique et aux recoupements nécessaires. Le plus<br />

souvent, elle posait sans le dire une relation d’extériorité entre les faits et les opérations de connaissance<br />

qui les visent. C’est bien cette conception qui a fait l’immense fortune de la maxime de Ranke que l’on a<br />

citée plus haut en un moment où l’on se plaisait à concevoir l’histoire comme une science d’observation,

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