Epistemologie des sciences sociales
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M. Berthelot affirme de même « la cumulativité [dont] est capable la sociologie [par] le jeu de<br />
fertilisation réciproque entre théories A, B, C évoqué par Raymond Boudon [et qui] est simultanément un<br />
jeu de décantation historique » : « Les nouveaux défis épistémologiques de la sociologie », art. cité (n. 1,<br />
p. 435), p. 32.<br />
[39] Ce qu’exprime bien l’aphorisme britannique : The proof of the pudding is in the eating. Ce genre de<br />
test est suffisant pour les amateurs ; mais pour les chercheurs que nous sommes, il lui manque une suite :<br />
le succès du pudding nous fait obligation de trouver sinon la recette de l’auteur, du moins une recette qui<br />
fasse aussi bien, jusqu’à son remplacement par une autre qui fasse mieux, etc. « Affaire de goût »,<br />
objectera-t-on, éminemment socioculturelle, marquant ainsi les limites de la métaphore culinaire ; mais<br />
les appréciations que l’on recherche, en science, doivent en principe dépasser les frontières de la tribu.<br />
Or, contra les sociosceptiques, il semble bien que la chose soit possible. L’archéologie, plus familière à<br />
l’auteur que d’autres <strong>sciences</strong> humaines, offre mille occasions d’éprouver l’efficacité cognitive de<br />
certaines manières de voir et de raisonner apprises à l’Université par <strong>des</strong> voies discursives qui ne sont ni<br />
celles du langage ordinaire ni celles <strong>des</strong> mathématiques. Les attributions, prédictions, interprétations et<br />
autres diagnostics que nous pratiquons sur le terrain se révèlent souvent justes, ô surprise, en dépit du<br />
flou jadis artistique mais qui ne l’est plus guère dont sont entourées dans l’enseignement les définitions<br />
fondatrices. Le mouvement qui pousse certains d’entre nous à tenter de raffiner celles-ci tient à cet autre<br />
aphorisme, en quelque sorte complémentaire du précédent : l’intuition est un défi provisoire à<br />
l’intelligence.<br />
[40] Sur les rapports entre les schématisations logicistes et les bases de connaissances de l’intelligence<br />
artificielle, voir J.-C. Gardin et al., 1987 ; sur la mise à l’épreuve <strong>des</strong> unes et <strong>des</strong> autres par <strong>des</strong><br />
simulations sur ordinateur, voir H.-P. Francfort, « The sense of measure in archaeology : An approach to<br />
the analysis of proto-urban societies with the aid of an expert system », in J.-C. Gardin, C. S. Peebles<br />
(eds), Representations in Archaeology, 1992, Bloomington, Indiana University Press, p. 291 à 314 ; J.-C.<br />
Gardin, M. Renaud, M.-S. Lagrange, « Le raisonnement historique à l’épreuve de l’ia », in J. Sallantin,<br />
J.-J. Szczeciniarz (éd.), Le concept de preuve à la lumière de l’intelligence artificielle, Paris, puf, 1999,<br />
p. 351 à 370.<br />
[41] Philippe Cibois, par exemple, considère que l’analyse d’un texte scientifique doit mettre à jour «<br />
tout ce qui peut concourir à la persuasion du lecteur », qu’il s’agisse <strong>des</strong> parties proprement logiques du<br />
discours, où l’auteur tire les conclusions de ses prémisses (« la rhétorique explicite », selon sa<br />
terminologie), ou <strong>des</strong> parties soumises à l’environnement social, qui visent à renforcer l’autorité de la<br />
chose dite (« la rhétorique implicite ») : « L’analyse rhétorique <strong>des</strong> données textuelles : une comparaison<br />
entre textes scientifiques de deux disciplines », in S. Mellet, M. Vuillaume (éd.), Mots chiffrés et<br />
déchiffrés. Mélanges offerts à Étienne Brunet, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 41 à 65. Les exemples<br />
que donne Ph. Cibois sur les deux volets – le logique explicite et le social implicite – renforceraient<br />
plutôt le sentiment de leur hétérogénéité, malgré l’étiquette « rhétorique » commune.<br />
[42] Vincent de Coorebyter, directeur d’un ouvrage collectif sur le sujet, exprimait naguère cette<br />
amphibologie à la fois par le pluriel de son titre (Rhétoriques de la science, Paris, puf, 1994) et par<br />
l’intitulé de son introduction : « Sciences et rhétorique : dualisme ou dilemme ? » (ibid., p. 1 à 4). Le<br />
dilemme est en fait une alternative, entre la vision du « tout social » propre au relativisme extrême et la<br />
perception d’une autonomie du « logique » dans le raisonnement scientifique. La popularité actuelle de la<br />
première ne paraît pas entamée par les preuves fournies à l’appui de la seconde, de sorte que le débat<br />
reste ouvert, comme le montre cet autre ouvrage collectif récemment paru sur les mêmes questions : J.<br />
Gayon, J.-C. Gens, J. Poirier (éd.), La rhétorique : enjeux de ses résurgences, Bruxelles, Ousia, 1998.<br />
Rien n’annonce dans ces livres l’évolution <strong>des</strong> pratiques discursives envisagée dans le programme<br />
logiciste.<br />
[43] J.-C. Gardin, « La logique, naturelle ou autre, dans les constructions de <strong>sciences</strong> humaines », Revue