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Epistemologie des sciences sociales

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sociologie, et qui privilégiait les structures et les régularités, l’histoire <strong>des</strong> mentalités qui s’appuyait sur<br />

une perspective plus anthropologique mais qui continuait à repérer <strong>des</strong> régularités et pouvait s’appuyer<br />

sur <strong>des</strong> récurrences textuelles, les historiens se sont vus attirés du côté d’un récit subjectif, voire<br />

rhétorique, ou bien se sont consacrés à l’étude de la singularité de « microhistoires », inspirées de<br />

l’ethnométhodologie. La première voie mène à une critique exagérément radicale de l’objectivité<br />

historique, la seconde pose un problème épistémologique tout aussi délicat. Si l’historien n’arrive à<br />

conjoindre objectivité et pertinence (cette dernière exigence implique que l’historien connaisse<br />

suffisamment en détail tous les contextes du village ou du micro-objet analysés pour qu’il ne trahisse pas<br />

les acteurs dont il analyse les textes et les actions) qu’en se consacrant à l’étude d’une période et d’un<br />

lieu social extrêmement réduit, alors il n’est pas possible de raisonner d’un contexte et d’un lieu spatiosociotemporel<br />

à un autre, et il faut abandonner toute généralisation. Mais alors l’histoire est impossible,<br />

puisque le temps d’où écrit l’historien est souvent si lointain par rapport à son objet que <strong>des</strong> procédures<br />

de transfert d’un contexte à un autre sont absolument nécessaires. Revenir vers l’acteur et ses actions,<br />

c’est esquisser une réponse à ce dilemme de l’historien pris entre la rhétorique idéologique et<br />

l’impossibilité d’une objectivité pertinente, même réduite à <strong>des</strong> micro-objets.<br />

Cette réponse en fait peut être double. D’une part, les historiens ont suivi (ou précédé !) le mouvement du<br />

retour du système à l’acteur. L’historien peut alors partir de la pluralité <strong>des</strong> systèmes ou plus mo<strong>des</strong>tement<br />

<strong>des</strong> dimensions d’action, sans craindre de projeter sur les acteurs un filet dont les mailles ne tiennent qu’à<br />

lui, puisqu’il s’intéresse en fait à la façon dont les acteurs reformulent et modifient les catégories et<br />

idéologies auxquels ils se confrontaient eux-mêmes. Ce sont les textes <strong>des</strong> acteurs et notre documentation<br />

sur leurs actions qui lui font découvrir à quels cadres et repères ils se référaient pour mieux les biaiser,<br />

les contourner, voire les transformer. Quand ces usages sont stables et partagés, l’historien peut valider<br />

ses hypothèses sur les représentations collectives de référence, quand ils ne le sont pas, ils lui permettent<br />

de comprendre les changements sociaux.<br />

Il est alors possible de repenser le rapport entre social, action et cognition à partir du souci principal de<br />

l’historien : identifier les mo<strong>des</strong> de temporalités, de projets, de réactivation du passé, de dynamisation ou<br />

de stabilisation du présent, qui permettent de rendre compte de la production de l’histoire dans une<br />

société. Ainsi Bernard Lepetit (« Le présent de l’histoire ») nous a proposé une telle relecture d’une<br />

sociologie et économie <strong>des</strong> conventions, <strong>des</strong> accords, <strong>des</strong> justifications, en termes de temporalités. Celle<br />

de l’émergence de la convention, par basculement en situation d’incertitude vers un nouvel accord<br />

(Orléan), au prix d’actions qui visent à rendre saillantes les propriétés qui peuvent être reconnues comme<br />

repères de l’accord (un « investissement de formes », selon Eymard Duvernay et Thévenot). Celle de sa<br />

durée, une fois installée comme cadre stable de référence pour <strong>des</strong> récognitions et <strong>des</strong> actions usuelles (la<br />

notion de norme ne s’oppose alors plus à celle d’usage, cf. Favereau). Dans ces deux formes, la<br />

dimension du passé est occultée. Elle n’est mobilisée qu’à l’occasion de contestations sur la qualification<br />

conventionnelle <strong>des</strong> objets et <strong>des</strong> actes (Boltanski et Thévenot), où l’on peut et réévoquer les traditions<br />

passées et relancer l’histoire <strong>des</strong> contestations précédentes. L’historien met alors l’accent sur les<br />

temporalités <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de cognition et d’action, et il met en évidence les apprentissages sociaux<br />

nécessaires pour saisir ces temporalités, ou encore le rôle <strong>des</strong> actions comme dépôts de repères dont la<br />

temporalité peut être utilisée soit simplement pour passer le relais à une autre action au présent, soit pour<br />

rappeler un projet en cours, soit pour réactiver le ressouvenir du passé, y compris dans cette cognition<br />

élaborée qu’est l’histoire.<br />

Pour ce faire, il est sans doute plus aisé pour l’historien de partir de l’action, qui porte avec elle sa<br />

temporalité. Jusque-là, l’aspect cognitif n’est présent que dans l’analyse <strong>des</strong> représentations, <strong>des</strong> textes,

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