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Psychologie de la manipulation et de la soumission

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70 PSYCHOLOGIE DE LA MANIPULATION ET DE LA SOUMISSION<br />

sur l’intérêt qu’il y a à interroger l’exercice du pouvoir dans les structures<br />

organisationnelles où, pourtant, <strong>la</strong> coercition est, en apparence, absente <strong>de</strong>s<br />

procédures d’exercice <strong>de</strong> ce pouvoir. Ici, une injonction banale, émanant<br />

d’un supérieur hiérarchique, conduit, dans une structure organisationnelle<br />

très hiérarchisée comme peut l’être l’hôpital, à l’adoption <strong>de</strong> comportements<br />

contraires à une éthique professionnelle <strong>et</strong> dangereux pour autrui.<br />

Les résultats obtenus par Hofling <strong>et</strong> al. (1966) nous ai<strong>de</strong>nt à comprendre<br />

c<strong>et</strong>te notion d’état agentique si chère à Milgram. À l’hôpital, les délimitations<br />

<strong>de</strong>s responsabilités <strong>de</strong> chacun sont très n<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> sont fonction <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>ce qu’il occupe. Les mé<strong>de</strong>cins tiennent le haut <strong>de</strong> <strong>la</strong> pyrami<strong>de</strong> <strong>et</strong> possè<strong>de</strong>nt<br />

le pouvoir. Ils sont les seuls à avoir compétence <strong>et</strong> délégation pour poser<br />

un diagnostic : leur diagnostic. Celui-ci ne peut être contesté par <strong>de</strong>s personnes<br />

qui n’ont pas c<strong>et</strong>te compétence ou c<strong>et</strong>te délégation <strong>et</strong>, sont là, <strong>la</strong> plupart<br />

du temps, pour exécuter une prescription en lien avec le diagnostic établi par<br />

le mé<strong>de</strong>cin. C<strong>et</strong>te pratique est immuable <strong>et</strong> s’établit dans le cadre d’une<br />

longue tradition <strong>de</strong> <strong>la</strong> répartition <strong>de</strong>s rôles <strong>et</strong> l’attribution <strong>de</strong>s responsabilités.<br />

Ce<strong>la</strong> conduit à entraîner une réponse automatique même quand <strong>la</strong> prescription<br />

est entachée d’une erreur. Comme le dit si bien Cialdini (1990), « les<br />

subordonnés cessent <strong>de</strong> penser <strong>et</strong> se contentent <strong>de</strong> réagir » (p. 207). C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> réponse automatique aux ordres d’un mé<strong>de</strong>cin explique très bien les<br />

95.5 % d’obéissance totale obtenus auprès <strong>de</strong>s infirmières dans l’expérience<br />

<strong>de</strong> Hofling <strong>et</strong> al. (1966). Il est à noter que c<strong>et</strong>te expérience, vali<strong>de</strong>, <strong>de</strong><br />

manière empirique, d’autres travaux sur c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> réponse automatique.<br />

Pendant longtemps, on a montré, dans <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s faites par <strong>de</strong>s associations<br />

<strong>de</strong> consommateurs, que les pharmaciens étaient susceptibles, dans une forte<br />

majorité, <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong>s médicaments dont l’association était dangereuse afin<br />

<strong>de</strong> respecter c<strong>et</strong>te prescription. Il a fallu un arsenal légis<strong>la</strong>tif pour combattre<br />

c<strong>et</strong>te réponse à l’autorité justement en engageant <strong>la</strong> responsabilité du pharmacien<br />

en cas <strong>de</strong> problème imputable à c<strong>et</strong>te délivrance <strong>de</strong> médicaments<br />

incompatibles. Certaines anecdotes vali<strong>de</strong>nt également c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> réponse<br />

automatique aux ordres du mé<strong>de</strong>cin. Cialdini (1990) rapporte l’histoire d’un<br />

mé<strong>de</strong>cin qui avait prescrit un traitement pour un patient souffrant d’une<br />

affection auricu<strong>la</strong>ire. Comme ce traitement comprenait plusieurs médicaments<br />

sous forme <strong>de</strong> gouttes, le mé<strong>de</strong>cin, plutôt que <strong>de</strong> donner, à chaque<br />

fois, le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> prescription <strong>et</strong> <strong>la</strong> posologie avait, pour chaque produit<br />

suivant, porté <strong>la</strong> mention : « traitement analogue ». Comme, <strong>de</strong> plus, il avait<br />

réduit tout ce<strong>la</strong>, on trouvait <strong>la</strong> mention : « traitement anal ». Il s’est avéré que<br />

l’infirmière ayant reçu c<strong>et</strong>te prescription <strong>et</strong> connaissant pourtant <strong>la</strong> fonction<br />

<strong>et</strong> le mo<strong>de</strong> d’administration du médicament, l’a néanmoins appliqué comme<br />

ce<strong>la</strong> était dicté par le mé<strong>de</strong>cin. Les gouttes <strong>de</strong>stinées aux oreilles <strong>de</strong> notre<br />

patient ont donc été consciencieusement introduites dans son anus. L’infirmière<br />

avait cessé <strong>de</strong> penser pour ne se focaliser que sur le respect <strong>de</strong> <strong>la</strong> prescription<br />

<strong>et</strong> ce<strong>la</strong>, nonobstant, son inadéquation.

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