Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 101<br />
La réforme électorale de 1832 ne pouvait satisfaire ni les radicaux bourgeois ni les<br />
démocrates <strong>ouvrier</strong>s. Il s'agissait seulement d'une extension <strong>du</strong> privilège de vote, et le<br />
droit de suffrage, loin de reposer sur l'idée démocratique <strong>du</strong> droit égal pour tous, restait<br />
une franchise.<br />
Cette réforme ne consacrait aucune des six revendications <strong>du</strong> radicalisme, ni l'annualité<br />
des Parlements, ni le suffrage universel, ni l'égalité des districts électoraux, ni<br />
le scrutin secret, ni l'indemnité parlementaire, ni la suppression <strong>du</strong> cens d'éligibilité.<br />
Ce sont ces six revendications fondamentales <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> démocratique depuis ses<br />
origines qui vont constituer les six points de la Charte <strong>du</strong> Peuple. Le 8 mai 1838, la<br />
Working Men's Association adressera cette charte aux associations ouvrières et aux<br />
associations radicales.<br />
La Charte <strong>du</strong> Peuple restera jusqu'en 1848 le programme <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> chartiste<br />
; elle semble imprimer au Chartisme le caractère d'un <strong>mouvement</strong> démocratique.<br />
Les principes affirmés dans leur projet de loi par les hommes de la Working Men's<br />
Association ne sont-ils pas d'ordre exclusivement politique ? Le suffrage universel<br />
n'est-il pas, depuis 1780 et 1792, la revendication centrale <strong>du</strong> parti radical ? Ce parti,<br />
depuis 1815, a grandi, et sa popularité est <strong>du</strong>e à la faveur croissante dont cette revendication<br />
jouit dans les milieux populaires. La réforme de 1832 n'est, elle même,<br />
qu'une concession faite à l'opinion publique ; les uns ne l'ont acceptée et préconisée<br />
que comme une étape qui devait con<strong>du</strong>ire au suffrage universel ; les autres l'ont<br />
condamnée comme une déception infligée à leurs espérances.<br />
La Charte <strong>du</strong> Peuple est un essai de rédaction des principes de la démocratie politique<br />
? Mais, ce n'est là qu'une apparence. Les revendications politiques des démocrates<br />
<strong>ouvrier</strong>s enveloppent d'autres revendications qui vont donner au <strong>mouvement</strong> un<br />
caractère nettement socialiste. Pour les Chartistes, la vraie démocratie implique une<br />
révolution sociale. A cette époque, l'expression de socialiste désigne plus particulièrement<br />
les disciples de Robert Owen, celle de démocrate est toujours employée dans<br />
un sens qui unit étroitement, comme les deux faces d'une médaille, la démocratie politique<br />
et la démocratie sociale. En Angleterre, comme en France, les classes laborieuses<br />
prennent conscience de leur force. Elles éprouvent le besoin de s'organiser d'une<br />
façon autonome. L'autonomie et une volonté novatrice sont déjà tes traits essentiels<br />
qui donnent au <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong> ses formes propres. Autonomie et volonté créatrice<br />
sont des affirmations de jeunesse et de vitalité.<br />
La Working Men's Association est composée exclusivement d'<strong>ouvrier</strong>s. Lorsqu'elle<br />
a été fondée, le 16 juin 1836, la Working Men's Association, par la volonté<br />
même de ses fondateurs, ne fait appel qu'aux seules forces de la classe ouvrière. « La<br />
question se posa parmi nous, dit Lovett, de savoir si nous pourrions organiser et faire<br />
vivre une association composée exclusivement d'hommes appartenant à la classe ouvrière.<br />
» La W. M. A. est précisément une expérience tentée par Lovett, Cleave et<br />
Hetherington pour amener la classe ouvrière à administrer ses affaires dans un esprit<br />
de complète indépendance. Lovett nous explique que les fondateurs de la W. M. A.<br />
voulaient libérer les masses laborieuses de leur asservissement à l'égard des « grands<br />
hommes »sur lesquels elles avaient toujours les yeux fixés et dont elles attendaient un<br />
geste pour penser et pour agir. « Entre les mains de ces leaders, qui en maniaient les<br />
ficelles, la classe ouvrière se laissait con<strong>du</strong>ire comme une marionnette obéissante aux