Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 266<br />
ront comme et quand ils le jugeront convenable, sous la garantie d'un contrat librement<br />
conclu, sauvegardant la liberté des indivi<strong>du</strong>s et des groupes. »<br />
L'abolition complète et radicale <strong>du</strong> droit d'héritage est proposée par la Commission.<br />
André Murat combat l'abolition <strong>du</strong> droit d'héritage. César de Paepe soutient que<br />
si l'on restreint ce droit quant aux degrés de parenté donnant accès à la succession,<br />
« épuré, dépouillé de tout ce qui le rendait inique, limité en lui-même et par le milieu<br />
social, ré<strong>du</strong>it enfin à son minimum, l'héritage indivi<strong>du</strong>el n'est plus qu'un élément de<br />
progrès et de moralité » 121 . 32 délégués votent l'abolition, 23 délégués votent contre,<br />
il y a 17 abstentions.<br />
Eccarius présente alors un amendement limitant le droit de tester. L'amendement<br />
d'Eccarius est rejeté par 37 voix contre 19 ; il avait été rédigé par Karl Marx, qui<br />
voulait faire échec à l'influence grandissante de Bakounine sur certaines sections de<br />
l'Internationale. Après le Congrès de Bruxelles, Michel Bakounine s'était affilié à<br />
l'Internationale et séparé de la Ligue de la Paix et de la Liberté : « Bakounine, dit Albert<br />
Richard, se brouillant ainsi avec ses amis de la classe bourgeoise pour se consacrer<br />
exclusivement au socialisme..., entre en relation avec les sections de l'Internationale<br />
française. » La question de l'héritage avait été ajoutée à l'ordre <strong>du</strong> jour <strong>du</strong><br />
Congrès sur la demande <strong>du</strong> Comité fédéral romand, et Marx avait vu là une intrigue<br />
de Bakounine : « Ce Russe, écrit Marx le 29 juillet à Engels, cela est clair, veut devenir<br />
le dictateur <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong> européen. Qu'il prenne garde à lui, sinon, il sera<br />
excommunié. » Et Engels lui avait répon<strong>du</strong> : « Le gros Bakounine est derrière tout<br />
cela, c'est, évident. Si ce maudit Russe pense réellement à se placer par des intrigues à<br />
la tête <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, il est grand temps de le mettre hors d'état de nuire. »<br />
Marx comptait sur la question de l'héritage pour « pouvoir assommer Bakounine d'un<br />
coup décisif ». Ce sont les termes qu'il emploie dans la Communication confidentielle<br />
<strong>du</strong> 28 mars 1870. Entre les deux idéologues, la guerre allait bientôt s'engager d'une<br />
façon plus directe et plus brutale.<br />
Par delà les antagonismes personnels, le Congrès de Bâle est l'occasion, pour les<br />
tendances, de s'affronter. Dans une lettre datée de Bâle et qui paraît dans Le Commerce<br />
<strong>du</strong> 19 septembre 1869, Varlin, en rendant compte <strong>du</strong> Congrès, marque nettement<br />
la position des trois tendances. Entre les mutuellistes et les marxistes, ses préférences<br />
vont à la tendance fédéraliste et antiétatiste dont s'inspire la majorité <strong>du</strong><br />
Congrès. Celle-ci s'affirme surtout dans la résolution relative aux sociétés de résistance.<br />
Dans sa lettre de Bâle, Varlin met l'accent sur ces associations internationales<br />
de corps de métier qui sont destinées à amorcer la Fédération des pro<strong>du</strong>cteurs libres.<br />
La résolution sur les fédérations des sociétés ouvrières est, en effet, la recommandation<br />
la plus significative <strong>du</strong> Congrès.<br />
« L'Internationale est et doit être un État dans les États ; qu'elle laisse ceux-ci marcher<br />
à leur guise, jusqu'à ce que notre État soit le plus fort. Alors, sur les ruines de<br />
ceux-là, nous mettrons le nôtre tout préparé, tout fait, tel qu'il existe dans chaque section.<br />
» Cette formule masque les tendances dominantes au Congrès de Bâle. Le mot<br />
« État » les tra<strong>du</strong>it mal, on peut même dire qu'il les trahit. Les tendances fédéralistes<br />
121 Rapport sur le Congrès, publié par Mollin, chez A. Le Chevalier, mars 1870.