Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 201<br />
assurer des affaires aux entrepreneurs et <strong>du</strong> travail aux <strong>ouvrier</strong>s. On veut aussi pouvoir,<br />
en cas d'émeute, faire manœuvrer à l'aise les troupes dans Paris. On aménage les<br />
grands boulevards. On détruit, les vieilles ruelles. On dégage les abords de l'Hôtel de<br />
Ville. Mais, en touchant aux vieilles pierres, c'est aussi au cœur de l'<strong>ouvrier</strong> parisien<br />
qu'on touche : ce bouleversement de Paris l'atteint dans sa chair.<br />
Ce bouleversement de la Cité, ce ne sont pas seulement les écrivains <strong>ouvrier</strong>s qui<br />
le déplorent, mais aussi les esprits généreux de la bourgeoisie libérale. Dans sa<br />
Condition des Ouvriers français 75 , en 1862, Augustin Cochin constate « que la société<br />
anonyme et la charité légale tuent le patronat bienveillant <strong>du</strong> maître... Je cherche<br />
[en vain] les lieux, les seuls lieux où peuvent se donner rendez-vous les <strong>ouvrier</strong>s... »<br />
Dans sa brochure sur Les Grèves 76 l'ateliériste Henri Leneveux écrit : « Les <strong>ouvrier</strong>s<br />
perdent à l'atelier, à l'usine tout contact avec le patron », car l'<strong>ouvrier</strong> n'a plus en<br />
face de lui qu'un être abstrait, la Compagnie 77 ... Dans Les Populations ouvrières A.<br />
Audiganne ajoute : « On assiste à des haines silencieuses... Dans l'atelier, la subordination<br />
est complète... Mais, au dehors, aucune influence, d'une part, aucune déférence<br />
de l'autre 78 ... »<br />
Les transformations de Paris font refluer les populations laborieuses <strong>du</strong> centre vers<br />
la périphérie ; on a coupé la Cité en deux, une riche, une pauvre : « Autrefois, à Paris,<br />
<strong>ouvrier</strong>s et bourgeois étaient mêlés ; ils habitaient les mêmes quartiers, souvent les<br />
mêmes maisons ; ils se croisaient dans le même escalier, l'un se rendant au premier<br />
étage, l'autre à la mansarde ; ils vivaient ainsi côte à côte dans des relations de courtoisie<br />
mutuelle et de franchise réciproque. Aujourd'hui, il y a la ville de Luxe 79 ... »<br />
Et il y a la ville de la pauvreté.<br />
La pioche impitoyable d'Haussmann a fait disparaître ces « maisons hospitalières<br />
» où se confondaient, il y a quelques années, les pauvres et les riches, où, par une<br />
solidarité tacite, les locataires des différents étages se prêtaient une assistance réciproque.<br />
« Les <strong>ouvrier</strong>s ont été brutalement exilés <strong>du</strong> cœur de Paris » (Augustin Cochin).<br />
La rupture des liens personnels contribue dans une large mesure à la formation d'une<br />
conscience de classe. Et cet exil est le signe tangible de cette rupture.<br />
La transformation de Paris a eu des répercussions psychologiques profondes.<br />
Proudhon a compris le bouleversement des sentiments qui l'accompagne. Dans le<br />
75<br />
AUGUSTIN COCHIN, De la Condition des Ouvriers français d'après les derniers travaux, Paris, C.<br />
Douniol, 1862, in-8°, p. 48.<br />
76<br />
Les Grèves, pp. 35. Pagnerre,1865, in 8° (Bib. Nat. Lb56 1519).<br />
77<br />
HÉLIGON, Le Mouvement <strong>ouvrier</strong> de 1848 à 1870, pp. 24. Paris, in-8°, 1880. Discours prononcé à<br />
la Loge des trinosophes de Bercy.<br />
78<br />
A. AUDIGANNE, Les Populations ouvrières et les in<strong>du</strong>stries en France, Paris, Capelle, 1859.<br />
79 er<br />
PAUL LEROY-BEAULIEU, Le Socialisme et les grèves, Revue des Deux Mondes, 1 mars 1870 (tome<br />
2, p. 102).