Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 99<br />
et vous seuls, pro<strong>du</strong>isez toute la richesse réelle <strong>du</strong> pays ; rappelez-vous que vous ne<br />
jouissez que d'une fraction bien exiguë de ce que vous pro<strong>du</strong>isez en fait. »<br />
Aux yeux de ceux qu'on peut appeler les démocrates <strong>ouvrier</strong>s, il existe une raison<br />
dominante pour rejeter le projet : le travail est la source de toute richesse, la classe<br />
ouvrière pro<strong>du</strong>it « toute la richesse réelle <strong>du</strong> pays », et elle ne jouit dans la société<br />
actuelle que d'une infime partie des richesses pro<strong>du</strong>ites par elle. Or, le projet de réforme,<br />
proposé par ceux-là mêmes qui accaparent toute richesse, est destiné à donner<br />
le pouvoir politique et le monopole législatif à ceux qui s'attribuent déjà le pro<strong>du</strong>it <strong>du</strong><br />
travail des <strong>ouvrier</strong>s. Le bill est donc une <strong>du</strong>perie pour la classe ouvrière ; celle-ci ne<br />
peut espérer voir « ses maîtres » se dépouiller de leur monopole pour rendre aux pro<strong>du</strong>cteurs<br />
le pro<strong>du</strong>it intégral de leur travail.<br />
Le Défenseur <strong>du</strong> Pauvre prend position contre les classes moyennes et recommande<br />
aux <strong>ouvrier</strong>s de se défier toujours autant de la bourgeoisie que de l'aristocratie<br />
et de l'Église. En juillet 1831, en pleine lutte pour la réforme électorale, les journaux<br />
de la presse sans timbre condamnent le bill : le projet de réforme ne donne satisfaction<br />
qu'aux intérêts des classes moyennes. Aussi la nouvelle association fondée par les<br />
démocrates <strong>ouvrier</strong>s lance-t-elle une circulaire invitant « les classes pro<strong>du</strong>ctives » de<br />
Londres à un meeting fixé au 7 novembre 1831, afin de faire approuver une déclaration<br />
qui est l'esquisse de la future Charte <strong>du</strong> peuple.<br />
La National Union of the Working Classes and Others n'a que 1500 membres,<br />
dont 500 seulement paient régulièrement leur cotisation. Sa principale activité<br />
consiste dans des meetings. Aux réunions de la N. U. of W. Classes and Others, nous<br />
dit Francis Place, des centaines de personnes se pressent aux portes de la salle. Les<br />
Rotundanistes - tel est le surnom qui leur a été donné - exercent une action et une influence<br />
qui s'étendent bien au delà des limites de leur petite association.<br />
Ces réunions de la Rotunda doivent être le point de départ d'un <strong>mouvement</strong> s'étendant<br />
à toute l'Angleterre et destiné à conquérir l'opinion publique aux principes démocratiques<br />
afin d'exercer une pression sur le Gouvernement et sur le Parlement. Les<br />
démocrates <strong>ouvrier</strong>s espèrent entraîner Francis Place et les radicaux bourgeois dans<br />
cette campagne en faveur <strong>du</strong> suffrage universel. En réalité, il n'y a pas d'entente possible<br />
entre les radicaux bourgeois et les démocrates <strong>ouvrier</strong>s. Ni leur idéal social ni<br />
leur tactique ne sont les mêmes. Sans doute les uns et les autres désirent l'avènement<br />
de la démocratie politique. Mais la démocratie ne représente pas à leurs yeux le même<br />
régime social. Elle est, pour les radicaux bourgeois, l'expression définitive d'un système<br />
d'équilibre entre les intérêts des différentes classes sociales. Le projet de réforme<br />
est une étape qui permettra aux classes laborieuses de faire leur é<strong>du</strong>cation politique<br />
avant de participer au gouvernement <strong>du</strong> pays. Au contraire, les démocrates <strong>ouvrier</strong>s<br />
voient, dans les institutions démocratiques, l'armature politique nécessaire à une transformation<br />
profonde de la société.<br />
En mars 1832, la Chambre des Communes vient d'adopter le bill de réforme. Le<br />
16 juin, Le Défenseur <strong>du</strong> Pauvre apprécie la loi nouvelle en ces termes :<br />
« Le Bill est devenu loi. Et maintenant donnera-t-il à l'honnête <strong>ouvrier</strong> ses droits ?<br />
Non, il ne les lui donnera pas ; il exclura le pauvre, et, aussi longtemps que les pau-