Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 129<br />
« Je savais que le résultat en serait nuisible aux maîtres des manufactures euxmêmes.<br />
Ma prophétie s'est accomplie. La moitié d'entre eux a fait faillite et l'autre<br />
moitié est insolvable....<br />
« Je n'ai aucune honte à déclarer que je fis tout ce que je pus avec d'autres pour<br />
empêcher la ré<strong>du</strong>ction. Nous le fîmes et il n'y eut jamais aucun bien fait aux <strong>ouvrier</strong>s,<br />
aux maîtres ou aux propriétaires des cottages dont quelqu'un n'ait eu à souffrir et, si je<br />
suis déclaré coupable d'avoir fait de mon mieux pour défendre les intérêts de ceux que<br />
j'aime, je me réjouirai néanmoins en considérant que mes efforts ont empêché une<br />
ré<strong>du</strong>ction qui eût été nuisible à tant d'indivi<strong>du</strong>s. La Paix, la Loi et l'Ordre étaient notre<br />
devise et nous agissons d'après cette devise. A Ashton under Lyne, il n'y eut pas un<br />
penny de dommage fait à la propriété, bien que nous fûmes six semaines en grève.<br />
« Monsieur le Juge et Messieurs les Jurés, c'était alors pour moi une <strong>du</strong>re chose<br />
que de me nourrir moi-même et ma famille. Mon fils aîné qui avait 16 ans était tombé<br />
malade de consomption à Pâques et il avait dû abandonner le travail. Nous étions<br />
alors ré<strong>du</strong>its à toucher 9 3 /4 d. à la pièce, ce qui avait abaissé nos salaires à 16 sh par<br />
semaine. C'était tout ce que j'avais pour vivre, avec une famille de neuf personnes ; et<br />
3 s. par semaine à donner pour le loyer, et un fils malade éten<strong>du</strong> sans secours devant<br />
moi. De retour à la maison j'ai vu ce fils (ici Pilling est incapable de continuer pendant<br />
un moment). J'ai vu ce fils éten<strong>du</strong> sur son lit et sur son oreiller, se mourant et<br />
n'ayant rien à manger que dès pommes de terre et <strong>du</strong> sel. Maintenant, Messieurs les<br />
Jurés, mettez-vous vous-mêmes dans cette situation et demandez-vous ce que vous<br />
pourriez éprouver en voyant votre fils malade - un fils qui avait travaillé douze heures<br />
par jour pendant six ans dans une fabrique, un brave garçon et un travailleur - je vous<br />
le demande, Messieurs, quels seraient vos sentiments, si vous voyiez votre fils sur son<br />
lit et sur son oreiller presque mourant, sans aide médicale et sans même aucune des<br />
premières nécessités de la vie ? En vérité, je me rappelle quelqu'un allant à la maison<br />
d'un gentleman d'Ashton demander une bouteille de vin pour lui et recevant cette réponse<br />
: « Oh ! c'est pour un Chartiste, il n'y en a pas pour lui. » Oh ! un tel procédé de<br />
la part des riches ne convaincra jamais les Chartistes qu'ils ont tort. Messieurs les Jurés,<br />
mon fils mourut avant le commencement de la grève et tels étaient les sentiments<br />
des gens d'Ashton à l'égard de ma famille qu'ils réunirent 4 livres pour son enterrement.<br />
Messieurs les Jurés, c'est dans ces circonstances qu'il m'arriva d'aller à Stockport,<br />
excité, je l'admets, par la perte de mon fils et en même temps par une ré<strong>du</strong>ction<br />
de 25 %, car, je veux bien le reconnaître et vous le confesser, Messieurs les Jurés,<br />
plutôt que de vivre pour souffrir une autre ré<strong>du</strong>ction de 25 %, j'aurais mis fin à ma<br />
propre existence. Telle était mon intention....<br />
« Venons-en maintenant au fait <strong>du</strong> procès. Je vais vous dire l'origine de la grève.<br />
Bien que trois hommes aient été renvoyés pour avoir pris une part active dans la<br />
grève, mon maître ne me renvoya pas en raison de la maladie de mon fils ; et je crois<br />
que ce ne fut pas mon maître qui renvoya ces hommes, mais quelqu'un de ses favoris,<br />
de ses régisseurs. Le crieur public fut envoyé aux alentours afin de créer de la sympathie<br />
pour ces hommes. L'un d'eux avait une femme et quatre enfants et rien pour<br />
subsister ; un autre avait une femme et deux enfants et rien pour vivre ; et le troisième<br />
était un célibataire. Vers ce temps, à un ou deux jours près, M. Rayner d'Ashton avait<br />
donné avis qu'il ferait une ré<strong>du</strong>ction de 25 %. Les travailleurs d'Ashton et des environs<br />
furent si indignés que, non seulement ceux qui étaient Chartistes, mais tous de