Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
Histoire du mouvement ouvrier Tome I : 1830-1871
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Édouard Dolléans, <strong>Histoire</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>ouvrier</strong>, <strong>Tome</strong> I : <strong>1830</strong>-<strong>1871</strong> (1948) 189<br />
Les représentants des anciens partis, les Thiers, les Falloux prennent peu à peu<br />
une influence dominante qui va bientôt devenir dominatrice et se tra<strong>du</strong>ire par des mesures<br />
d'un esprit exactement opposé à celui qui semblait inspirer les premières semaines<br />
de la République. Les Ateliers Nationaux servent l'ironie de ceux qui prétendent y<br />
voir non un expédient, mais une expérience qui démontre l'absurdité pratique de<br />
l'idéologie socialiste et <strong>du</strong> droit au travail.<br />
Le 15 juin, Goudchaux réclame la dissolution immédiate des Ateliers Nationaux.<br />
110 000 hommes vont se trouver sans moyens d'existence. Goudchaux est président<br />
de la Commission spéciale nommée par l'Assemblée Nationale. Son rapporteur est M.<br />
de Falloux, un homme énergique et qui sait ce qu'il veut : en finir avec toutes ces utopies<br />
socialistes, contraires à la prospérité des affaires et à la liberté de l'in<strong>du</strong>strie.<br />
Sous la pression de l'Assemblée et de la Commission spéciale, le gouvernement,<br />
le 21 juin, fait paraître au Moniteur l'arrêté portant que les <strong>ouvrier</strong>s de 18 à 25 ans,<br />
inscrits sur les listes des Ateliers Nationaux, devront s'enrôler dans l'armée et que les<br />
autres devront se tenir prêts pour aller faire, dans les départements, des travaux de<br />
terrassement. On supprime le bureau médical et le bureau de secours. Le 22 juin, la<br />
discussion sur le projet de rachat des Chemins de fer montre que l'Assemblée ne veut<br />
pas profiter de ce moyen d'occuper les 100 000 hommes sans travail.<br />
« Les Ateliers - a dit Georges Renard - s'agitent comme un nid de guêpes bouleversé<br />
d'un coup de pied. »<br />
Le 23 juin, 1 500 hommes, bannières en tête, se dirigent vers la place <strong>du</strong> Panthéon,<br />
con<strong>du</strong>its par Louis Pujol qui, le 15 mai, dans une brochure, Prophétie des jours<br />
sanglants, avait écrit : « Les <strong>ouvrier</strong>s vous ont dit : Nous avons le droit de vivre en<br />
travaillant, et vous leur avez répon<strong>du</strong> : Nous avons le droit de vous laisser mourir de<br />
faim, ou vous travaillerez comme nous le voudrons. » Marie répond à la délégation<br />
qui fait appel à lui : « Si les <strong>ouvrier</strong>s ne veulent pas partir pour la province, nous les y<br />
contraindrons par la force... par la force, entendez-vous ? » De longues files d'hommes<br />
et de femmes parcourent la ville, en répétant : « Du pain ou <strong>du</strong> plomb ! Du plomb<br />
ou <strong>du</strong> travail ! »<br />
La Presse annonce que les modérés ont décidé de laisser l'insurrection se développer<br />
pour l'écraser ensuite. La police et les troupes sont invisibles.<br />
Dans la nuit <strong>du</strong> 22 au 23, le ministre de l'Intérieur est le Dr Recurt, celui qui, lorsqu'il<br />
était étudiant en médecine, en 1833, avait fait partie de la Commission de propagande<br />
de la Société des Droits de l'Homme ; il s'en souvient lorsqu'il s'écrie : « On<br />
peut encore tout arrêter. » Arago l'appuie. Ils protestent lorsque Cavaignac déclare<br />
qu'il faut attendre : « C'est donc une bataille que l'on veut, c'est insensé ! » Cavaignac<br />
prépare ses colonnes d'assaut. Il veut une bataille et une victoire sur ceux qui ont repris<br />
la devise des Chartistes : « Mieux vaut mourir d'une balle que de faim. »<br />
Le matin <strong>du</strong> 23, dans l'Est de Paris, des barricades s'élèvent. Et ce sont les journées<br />
de juin.